Noël à cran

La Main des pauvres s’est mis belle à matin.
La St-Hubert, elle s’est acheté une belle robe blanche en discount, pour se marier avec Noël.
‘Est en retard, on est le vingt-six. T’imagines-tu ça, le gros? Être en retard pour te marier?

Tu cours, tu cours, le long du rang, dans ton suit neuf, la sueur au front, l’haleine d’un charettier édenté, la chienne au coeur que tout le monde ait crissé le camp au party.

Qu’Marianne, elle ait dit «oui, je le veux»
quand le curé lui a demandé
si on callait ça off?

Puis là, t’arrives. Tout le monde se saoule au champagne.
Toi, tu sirotes un verre de vin de messe
avec le bedeau dans la Sacristie.

Caller off. Ça ne ressemble plus rien qu’à ça, Noël.
Un gros mal de tête puis une absence sans motivation.

J’ai passé la nuit à regarder dehors.
D’un coup que le Père Noël passerait.
J’y aurais offert un Coke.

Y’est pas passé.

Y passe pu depuis une couple d’années…
ça a l’air que les rennes se sont syndiqués à SCFP.
Puis ils sont en grève.
C’est ça qu’Dubuc a dit,
dans la grosse Presse.

Je sais bien, je sais bien,
c’est le carnaval du cliché,
mais je n’y peux rien,
à Noël, je suis nostalgique.

Pis la nostalgie,
parait que ça vaut encore plus cher que le bacon.

America.

Fuck yeah.

Hé Rosaire! Quelle heure qu’y est?
Neuf heures dans vingt? – Merci ben.

Ça doit être noir de monde sur l’perron du future shoppe…

Mon oncle Roger doit être nerveux là. C’est lui qui ouvre la porte c’t’année.

HAha! T’aurais dû voir ça!
Tout à l’heure, la gratte est passée.
Elle a arraché la haie, en avant.
Y’avait des lumières dedans, pis tout’.
On avait acheté ça la semaine passée.
Chez Renaud Bray.

Y vendent des décorations, astheure.

Y savent ben qu’un livre,
une fois qu’tu l’as lu,
tu ne vas pas le racheter,
si la gratte le ramasse.

… Non… Il ne reste plus de café…

C’est plate qu’tu viennes juste d’arriver.
Hier au soir, on a fait cuire la dinde
de Moisson Montréal.
Avec du Kraft Dinner qui restait.
Tout habillés en neu’
de la Saint-Vincent.

On était beaux.

On s’est saoulés la gueule avec les restants du bar de matante Yvonne, qu’est morte c’t’année, pis on a fait venir Kev’ pour qu’y nous apporte de quoi passer la nuit réveillés puis contents…

Un ben beau Noël!

Mais là, j’suis pas capable de dormir.

J’ai juste envie d’me mettre.

J’me cours après la queue comme les années qui tournent en rond, la lumière allumée, le p’tit ciel qui se réveille; j’ai faim, j’ai froid, j’ai la voix rauque puis je bave sur tout ce que je n’ai pas, comme une manière de me faire un territoire imaginaire…

Quand t’as rien, tu t’en inventes.

Comme moi, icitte, qui m’invente une vie de pauvre, parce que je n’ai même pas la misère, comme excuse, pour pas aimer Noël. J’suis rien que las, à boire du cidre avec des badauds, des bardes pis des hosties de carrés rouges, pendant qu’la gratte arrache la robe de la Main, pour violer l’pauvre monde, que Marianne se marie avec la Main, du Tex Lecor dans le tapis souillé des Noëls d’antan, pis que je me fais fourrer à grand coups d’Alain Dubuc, à m’endormir l’imaginaire parce que Noël est une ordure en vente à rabais au mois de mars…

Au bazar su’ Mont-Royal…

Exi_. 6

Sur la page de l’exil, j’ai eu un accroc, une maille tirée à vue, ordre de reconnaître mes mots, mes morts. Entre l’exil et l’exit, une barre sur un t, de celles qui nous ont manqué. Un pont. Une couture. Overlock. Du point.

Je fais des étoiles avec tes yeux
Tu fais de la lumière avec mon ventre

Je me méfie de la zone
Bien installé dans le réel

[…]

On s’est enfuis ici
En exil
Dans une crèche au milieu du blanc

D’un mur à repeindre, plus pâle je crois. Je n’ai pas compris. Le blanc n’émeut pas, il lave. À quoi bon sentir plus propre? J’ai pas souhaité la saleté, mais les motifs sont sournois. J’ai pensé faire du tie dye avec nos vies, recueillir du sable d’Anticosti pour nous teindre des jours, aussi.

Pour nous teindre du rose des flamands stéréo, pis d’autres têtes de radio. Je sais plus. Tout était coquet, propret. Gentil. Du coton d’hôpital pour étendre la chair atrophiée, la vie qui s’émeut de ses tumeurs. La lessiveuse a tourné. La vie a tourné, sur le ton trop rouge du siège.

Les mots sans venin, les regards édentés, qui ne mordent qu’une fois réunis. Plonger, plonger toujours plus creux, sous un soleil de tungstène, goûter l’amnésie, peut-être?

Regarde la vie
Par la grande bay window
Y’a des oiseaux qui se soûlent la yeule juste en planant

Toi y’a rien qui te soûle. Ni la torpeur. Ni la démence. Frapper, peut-être. Frapper dru, la chair en élan, consciente de la mort que tu portes. Au poing. Cette énergie du mal désincarné qui challenge tout, celle que je ne comprends pas; une crainte. Un regard. Tu perces, tu éclates, tu t’opaques, te sombres. Tu es un vecteur, une flèche pointée, une radiation. Dehors, tu subjugues tout.

Réfléchir? Tu ne fais que ça. Une étoile dans un bas de laine.

Un miroir aux alléluias.

Fourbes, les bonheurs s’y détournent, s’en revont souriants, sur le chemin des églises, gothiques et art déco, du joli pour ne plus rien dire, des menthes deux couleurs de restaurant cheap suspendues au bout du comptoir où s’accumulent, pour boire, les années dans le styrofoam mordillé.

J’étais pas venu pour un caramel.

Au-dehors comme au-dedans
Mon âme respire
Enfin

Les doigts collés, entortillés, pourtant toujours sur le pas de la porte. Toujours sur le pas de la porte. J’étais pas venu pour toi. Ni pour moi. Ni pour d’autres.

Venu en exil.

Reparti en exit. Une douleur de plus sous le bras gauche…

 

Le poids d’une étoile dans le bas droit.

 

 

 

Wanna quit? C’est déjà.

___________________
Et les mots de Robin Aubert, Entre la ville et l’écorce (L’Oie de Cravan, 2011.)

Le dix au soir.

Je pensais sensiblement la même chose que toi. Discours forts, encourageants, qui témoignaient entre autres du passage de la lutte à une nouvelle étape. D’une extension-réduction de la lutte. Extension, parce qu’elle s’étend à d’autres groupes. La sensibilité s’est propagée comme les vagues concentriques par-dessus les berges atteignent parfois les chaumières.

Réduction parce que, ce faisant, les vagues n’en sont plus de 10 mètres, ou n’en paraissent plus tant. Les propos ce soir-là, paternalistes comme ceux d’un Champagne, nostalgiques, déjà, comme ceux d’un Nadeau-Dubois, ou révoltés comme ceux d’un Cyr, par leur multitude encourageaient à la poursuite. À l’épanouissement dans la diversité.

Comme le pain qui quitte le ciboire, la lutte devient des millions de petites particules qui habitent maintenant nos cellules. La lutte participe désormais de quelques entités qui lui sont extérieures. Elle est récupéré à même de nouveaux organismes. Elle sera humaine, elle sera parasitée, elle sera chiée s’il le faut, mais elle sera.

Cela ne fait plus de doute.

Cela pourtant n’était qu’un repas. Cette soirée était comme le toast final, le moment où l’on trinque une dernière fois parce qu’on s’est déjà dit «ouin, j’vais y aller, moi…
– Ouaip! moi aussi… Fatigué, là.
– On se revoit bientôt, ok? Je trouverais ça plate qu’on mette encore 40 ans avant de se voir…»

Et pleins de bons sentiments, forts de nos discussions, du repas que nous avons partagé, dont les molécules désormais feraient partie de nos deux corps, deux cent mille corps, nous irions nous coucher, lovés dans un confort à demi, mais surtout confortés d’avoir un moment pensé et goûté ensemble un seul plaisir.

C’était bon, Marianne. P’t-être ben qu’ça l’était trop.

Trop pour être agréable tous les jours comme ça. Soit on va s’habituer, soit on va en faire un moment détaché du reste de la vie. Est-ce qu’on l’a pas déjà fait?

La soirée c’était ça. Tchin! J’pense que j’ai fêlé mon verre. J’m’excuse, j’suis fatigué, j’évalue mal la force de mes mouvements. Temps que j’aille dormir, qu’on disait? Ouais. J’te fais la bise, la prochaine fois on déjeunera, peut-être? Ça nous permettra de passer la journée ensemble, peut-être…

Pis une fois au lit, deux corps, deux cent mille corps lourds, se disent que demain, c’est trop tôt, mais la semaine prochaine…? Pis on sait ben qu’on va toujours passer tout droit pour aller déjeuner. On est tellement bien dans son lit, Marianne.

Pis au fond, c’est un peu là qu’on fait la révolution, hein! Haha! Quand on y pense… Tu te souviens du Roi Lion? The Circle of Life. Y’a pas de plus précise révolution que ça. La vie est une éternelle copulation.

Mais c’est pas parce qu’on jouit que c’est vraiment l’fun.

Mais bof. C’pas déplaisant non plus.

C’est un peu tout ça qu’elle me disait, cette soirée.

C’confus.

Comment va ton bordel, toi?

L’extraction

Ce qui m’a sorti des remblais, pour me jeter au fond de ma propre tombe: c’était avant de quitter le Jardin par la grande porte grillagée. C’était avant cette fausse résurrection qui m’a fait continuer d’habiter un corps que je faisais se mouvoir, parler, heurter des gens sur la rue, voyager, sans vivre toutefois. C’était en ce temps où mes membres, non contents d’être unis en un corps, se faisaient le moteur d’une âme pleine d’espoir. Avant que le corps ravale tout, ses membres et l’âme, pour n’être plus qu’une fin à mon existence.

Idéaux types d’un adolescent en surcroit d’intérêt, aspirations personnelles à l’émancipation collective, toutes ces bévues de l’esprit ne m’habitaient pas; elles m’incarnaient. Du corps, il n’y avait que le mouvement nécessaire à la distribution des homélies, des châtiments, et à l’absorption goulue de la grande Connaissance. Le Jardin était une mine à ciel ouvert, prête à exploser à hauteur d’homme, mais le corps n’était qu’un vecteur de ce que je présumais être une force. Il pouvait périr et l’esprit survivrait. C’est l’esprit qui mourût.

À mesure que j’extrayais des pierres, le sol autour s’effondrait, et ce qui était une tranchée devint une vallée, ce qui était un chantier, une plaie, et les alluvions la firent si tôt cicatriser. Tout champ de savoir ainsi défriché se voyait rapidement remblayer naturellement par cette prédisposition humaine à la gravité; car la peur chez mes concitoyens mime le sable déboulant au coeur du nid de fourmi. Les lois jadis avaient été érigées en mur de soutènement, et la pelouse, propre, tonte, prévenait les glissements de terrain telle une civilisation polie.

C’était avant les intégrismes torrentiels.

De la haine, gratuite.

Il faut dire d’entrée de jeu qu’elle m’énerve. Pas que je la connaisse, ou quoi que ce soit, pas que je l’aie vue agir, un soir, dans un bar, avec un garçon, et feindre d’être touchée ou intéressée par le moindre de ses propos, avec pour seul objectif en tête de le ramener chez elle. Elle ne me tombe plus sur les nerfs parce que je l’aurai vue avec son enfant, l’engueuler inutilement, un matin où elle se serait réveillée d’humeur massacrante pour cause de dérèglement hormonal ou tout simplement d’envies non comblées. Je ne l’ai même pas aperçue au marché du coin de la rue tenter d’en imposer à une caissière de dix-sept ans au sujet du prix d’un fromage qui serait ou non offert à rabais selon une certaine affichette qui se serait trouvée au-dessus du réfrigérateur. Je n’en sais rien, sinon qu’elle arbore avec une fierté construite à coup de regards jetés inlassablement dans un miroir au cadre finement travaillé et peint argent, suspendu tout juste à côté de son lit, une chevelure trop courte et trop blonde, et trop placée.

Rien, donc, qui me permette de porter sur elle un jugement fondé, le moindrement informé. Mais tout, de sa voix haut-perchée, de ses tics de fillette névrosée avant l’âge, de sa manière de rejeter sur son épaule une longueur impertinente de laine blanchâtre d’une qualité suspecte tandis qu’elle tricote une bande au motif suranné qui lui servirait potentiellement de foulard un jour, pour se plaindre rageusement de ce que le fil s’emmêle, à tout moment d’une conversation inévitablement chaotique, me hérisse le poil, et pas de plaisir. La lourdeur de son ton plein d’amertume à l’égard de tout ce qui peut ressembler à la vie, le timbre surfait d’une phrase qu’elle prononce en aspirant l’air au même moment qu’elle l’expulse, comme si elle craignait que ses mots — ainsi que l’un de ses parents l’a fait, je présume — l’abandonnent du moment qu’elle les aura prononcés, évoquent à chaque instant une avarice inconsciente, qui ferait de chaque moment offert, de chaque compliment, une dette consignée pour la personne qui de son avis en aura bénéficié.

La simplicité de ma pensée me pousse à croire qu’elle m’irrite parce qu’aux bribes que je capte de sa bête discussion, les triviaux ennuis qui la tourmentent me sont d’une risible connerie. Sans doute la vérité quant à ce qui m’indispose est-elle encadrée de bois finement travaillé, et peint argent.

Une lettre pour toi

Bonsoir,

 

J’ai quand même pris le temps d’y penser, sans doute un peu trop. Tenté de me comprendre, parce que, je le sais bien, je te dois des explications.

Je te les dois, de mon humble avis, pour d’autres raisons que la seule justification. Ce serait tout presque simple, je pourrais m’en laver les mains dans le houblon, tenter de t’endormir de ma fatigue des dernières semaines, alerter la bienséance et soudoyer la bienpensance.

Or rien n’est jamais si simple et l’amitié que je te porte impose sans doute un éclaircissement supplémentaire. Seulement je patauge dans la noirceur, et j’accumule les jours sans soleil et les nuits sans sommeil. Je ne me comprends plus tant, alors s’il faut par surcroît m’expliquer…

Bienséance et bienpensance : oui, voilà deux concepts fort productifs!

La bienséance commande de réfréner les pulsions quelles qu’elles soient, afin de faire montre de politesse, de cette finesse du caractère qu’on apprécie et qui, alliée à un jugement englobant et un esprit vif, fait de l’homme, de la femme ordinaires des êtres de qualité. Je sais être cela, mais à la fin, et même au milieu, on s’en lasse et l’ivresse portée par tout ce qui sait rendre ivre ne nuit pas à lui faire sauvagement outrage : voilà pour la bienséance.

La bienpensance en revanche me parait plus complexe. Étant issu d’une famille dysfonctionnelle où néanmoins l’on valorisait et réfrénait tour à tour la réflexion, et l’inventivité aussi bien — des années plus tard, j’aurai compris que la meilleure posture était toujours d’être inventif dans mes réflexions, ce qui me gardait en tout temps des reproches et m’apprenait à n’être le serviteur d’aucune préconception — j’ai fini par développer cette espèce de complexe de la redéfinition. Ce n’est pas toujours opérant, mais en général, ça me donne l’impression d’être un peu plus libre, ce qui n’est pas à dédaigner dans la contingence qui est celle de notre génération.

Je m’explique. Si d’aucuns souffrent de divers complexes, dits «d’infériorité» et «de supériorité», les deux les plus souvent rencontrés, je prétends être porteur du complexe de la redéfinition, c’est à dire une tendance profondément ancrée à croire que les gens font erreur, qu’ils présument mal, et que la cause première de leur(s) malheur(s) s’il en est, c’est le paradigme où ils vivent et d’où ils observent le monde. C’est normal après tout et même lorsqu’on s’en porte mal, on est si bien dans ses convictions. Or on pourrait dire, si c’était volontaire, que je pratique le doute méthodique mais puisque je n’en ai depuis longtemps plus le contrôle, je me contenterai de dire que je doute. J’ai devant chaque chose et son contraire un intérêt et une curiosité, qui me font me demander s’il ne se pourrait pas que l’on se trompe sur leurs causes et conséquences, ce qui le plus souvent m’amène à voir les choses autrement, d’un point de vue qui ne se peut pas — mais au fond peut-être, si l’on change notre perspective. Chaque objet est redéfini.

Alors la bienpensance, c’est l’idée généralement admise sur ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est bon pour tout un chacun, et cela correspond à des moeurs admises en société. Mon avis? On se trompe sur ce qu’est la société. Ce qu’on la croit communément admettre est donc probablement erroné aussi…

Ainsi valorise-t-on l’amour fraternel et l’Amour lubrique, immense et béni devant «dieu», comme s’ils étaient un et deux. Je ne fais pas la différence. J’ai remarqué qu’il y avait des amours plus douloureuses, et d’autres plus délicieuses, mais que toutes étaient le plus souvent simplement orgueilleuses (oui, je viens de plugger amours, délices et orgues.). En somme je perçois l’ensemble comme un continuum. (Pour être juste, on verrait plutôt une forme aux multiples dimensions mais le cerveau n’en admet facilement que trois, à cause du monde dans lequel on vit, mais ce n’est véritablement qu’une aise de présentation si les graphiques se présentent généralement avec un axe des x et un des y. On pourrait difficilement l’imaginer, mais certaines situations imposeraient de visualiser bien davantage d’axes. La plupart du temps, on finit donc par faire plusieurs graphiques, et on devient mêlé dès le deuxième. Wonder why…)

Continuum, nous disions, à supposer qu’il soit unidimensionnel, et à l’un bout se trouveraient les amitiés telles qu’on les connait : justes, fraternelles, platoniques, pleines de sympathie et bon bref tu vois. À l’autre bout, l’amour tel qu’on l’aime bien, j’entends exclusif, pour la vie, devant le plus grand témoin qu’on ait imaginé, etc… Et comme on a horreur de ce qui n’est pas clair, on a exclu ce qui existe entre les deux. Et quand on rencontre quelqu’un qui nous plait mais avec qui on ne passerait pas sa vie, ou quand on baise en dessous des draps pour pas que Dieu voie, on dit : c’est pas le/la bon(ne).

Et les amis, c’est simple, mais s’il y a de la confusion, de l’ambiguïté on se dit : «ça ne peut pas être entre les deux». La bonne nouvelle, c’est que je parle du continuum, mais que même les deux extrêmes, pour moi, ne correspondent pas à ce que les gens disent. Heureusement que je ne vis pas leur vie parce que je ne suis à la recherche ni du parfait ami, ni de la parfaite femme. J’apprécie au contraire ces zones floues où il faut constamment tout redéfinir et si je passe de longs jours (jusqu’à la fin?) en compagnie de quelqu’une, ce sera parce qu’au coeur d’une confiance propre aux relations que l’on développe, elle m’aura tenu en haleine à ne jamais accepter le cantonnement dans un rôle bien défini.

Je crains pour l’avenir de l’humanité ces jours-ci alors qu’une femme tente le coup. D’adopter un rôle, je veux dire. Alors je la challenge. Au dedans du couple comme en dehors. (Hahaha!) J’entends d’ici le terme «tromperie». D’abord, ça ne se peut pas, tromper, parce que pour tromper il faut avoir prétendu autre chose, il faut avoir dit «j’agirai ainsi» et ne l’avoir pas fait;  depuis des lustres je ne dis plus comment je m’en vais agir.

Mais j’entends encore «quand on aime, on n’agit pas comme ça». Vraiment? C’est vrai, j’oubliais : quand on aime, on se possède, on s’exclusivise, on se lasse et on s’en va. Sauf bien entendu si c’est la bonne. Celle qui pour toujours comblera tous nos désirs et nos aspirations et nos ambitions de bonheur, celle qui en somme sera tout pour nous. Mais, bien sûr, ça ne fonctionne pas comme ça, renchérit la bienpensance. On aime, mais on garde chacun sa vie, on fait ses activités, on voit ses amis. Seulement, on est fidèle. Et je demande : fidèle à quoi? À ne pas mettre son … dans une autre … ? Parce que l’amour est exclusif…

Bon, d’accord, après, on ne se cache pas que ça fait mal, l’amour-ailleurs. Parce qu’au fond de chacun se cache un petit oiseau qui dit cui-cui-le-ciel-est-bleu-et-c’est-à-moi-le-nid.

On est, humains, à mi-chemin entre l’animal d’où l’on vient et la machine qu’on a voulue plus parfaite que nous. Cet à-mi-chemin, on a appelé ça la civilisation, et on prétend qu’être civilisé, c’est ne pas laper dans son verre d’eau, et baiser derrière une porte, mais ne connaître qu’une embrasure et en vomir, mais dans un récipient!

La bienpensance, elle m’inspire ça. Elle nous protège de grandir comme les enfants au bout d’une laisse — mais tu comprends, sinon, ils s’égarent! — et les casques de vélo et les casques de hockey et les casques de pénis. Si on n’avait pas dix-huit pouces de protection au hockey, on jouerait peut-être enfin au hockey. Si on n’avait pas de mariages implicites, peut-être saurait-on enfin se marier. La bienpensante civilisation a choisi d’abandonner massivement le mariage pour connaître cet amour où l’obligation part de soi, où l’obligation part de «sois» et parle de soie. L’erreur faite a me semble-t-il été d’abandonner l’institution pour en perpétuer les règles. Dès lors anything goes maybe, but still.

Alors en somme il m’arrive, lorsque la bienséance fout le camp — je suis fils d’une éducation privée — d’envoyer publiquement paître la bienpensance — je suis fils d’une éducation qui n’était pas privée de liberté. Entre ascétisme et hédonisme, un équilibre se crée qui m’est propre, et que je requestionne à tout moment. Car ce dont je suis tantôt sûr peut, encore tantôt, me surir.

Et c’est l’espoir de la vie qui me guide et me conduit. Je le préfère à ce camionneur qui transporte des poulets en cages de douze pouces, par douze pouces, par douze pouces, par douze unités de haut, par huit de large, par quarante-huit de long. Descartes est une condition nécessaire au transport efficace des poulets et utile à la vie humaine, pas l’inverse.

Tu te demandes pourquoi tu lis tout ça, et tu te dis peut-être que je suis fin d’être parvenu à te faire oublier la question. As-tu seulement jamais su quelle elle était, cette question?

 

Avec toute mon affection,

JP

Étreindre la carcasse.

Longtemps. C’était bien avant que le soleil ne sache qu’il pouvait briller sur les mers où tu fais course. De la mort qui s’expose en drapeaux noirs, on ne savait rien; des os croisés, aucun reflet de lune n’éclairait la blancheur.

On n’avait pas crié «eurêka», on croyait que les océans se terminaient en abymes, où chacun se noierait. Jeune civilisation qui s’ignore, qui ne s’est pas encore nommée. On peuplait alors les territoires avec effervescence et les mers engloutissaient les corps qui surchargeaient les navires. Hermine n’était pas née.

Alors, alors, il faisait sombre et de toi nous ne connaissions que l’aurore. Sur le chaos mouillé ne se reflétait qu’une lune moribonde, et cette couleur fade qu’habitent les matins d’hiver. Eux savent depuis naguère se loger n’importe où ailleurs que dans ta cale.

Alors – alors – tu n’avais pas de parole, qu’un regard. Celui-là que tu arbores les jours où la lumière ne sait plus te plaire. Celui-là qui t’illumine lorsque tu souhaites la nuit, lorsque tu laisses entrebâillées les portes blanches, afin que le froid s’immisce en chacun et brûle depuis la chair nos épidermes.

Longtemps, c’était bien avant que tu ne t’assoies à la proue, et te corrompes en figures. Depuis la vigie on criait : lumière en vue, lumière en vue! Longtemps, tu as vampirisé le jour. Longtemps, les échos du festin pillé, sur le pont lavé par les déluges, la tonne des accostés dans nos verres, et sur la clandestinité, les foudres. La mouillure a asphyxié ce qu’elle devait, laissé en cale une cargaison de nos effluves humides. Là même où s’en sont allés les mots trop lourds qu’on n’a pas osé prononcer.

Puis le Titanic a coulé. Céline a chanté, parce qu’elles chantent toutes, et toujours trop fort. Son heart a goé on. Hermine était née, avait traversé l’océan plus d’une fois; tous savaient désormais que la lune mouvait les mers, qui n’ont de fin que là où la terre leur rentre dedans. Que les navires calés de reconnaissance n’ont pour destin que de s’écorcher. Que les navires gavés de champagne tanguent, puis sombrent comme le jour qui s’arrache au ciel.

Il devrait être toute la vie seize heures moins le quart, et le Sahara nous coulerait dans les veines – ce serait de l’intérieur que nous serions écorchés. A-t-on jamais vu un mat cassé flotter auprès d’un cactus? Le soleil que tu hais perlerait sur l’écume, et à la commissure de nos routes quelques nuages pleureraient de grêle comme nous pleurons de rage.

Mais à seize heures le monde est peuplé de caravanes, de fighters aux nombres filants qui transpirent de l’atmosphère, les mers sont souillées des nappes sous lesquelles nous carburons. Nous flottons en formation, ma douce, chacun tend son filet pour nourrir sa marmaille, ma dure bataille. En ce monde, les rescapés s’intoxiquent aux pétroles écoulés sur ta paume où je flotte – car je sais bien que tu es l’océan et que je ne suis que le radeau. J’ai vu la mer déjà, j’en ai plein la cale.

Avale-moi j’irai voir la méduse à nouveau.

Croquer des cailloux

Tu nais et on te dit : « Dieu ». Tu ne sais trop qu’en faire. Lorsque vient le temps de te poser quelque question que ce soit, « comment ?», « pourquoi ? », surtout, « vers quoi ? », la réponse est déjà là, saillante, à l’orée du bois où autrement tu te perdrais. Devant l’immensité, comme devant toi-même, à toute question désormais tu réponds : « Dieu ».

Tu ne sais pas ce que cela signifie, pas plus que tu ne sais ce que cela évoque parmi tes confrères humains. Mais tu sais que chaque fois que le flou te devance, que le brouillard t’embrume, tu pourras dire « Dieu », et d’autres avant toi qui auront souffert de l’absence de réponse auront défini des voies, tracé des parcours que tu peux emprunter, qui seront tiens parce que tu les auras choisis, qui seront grands parce qu’on te l’aura dit.

Mais un jour, où tu auras fait faux pas… Un jour où tu auras quitté les sentiers parsemés des païens cailloux blancs de Hänsel, dépourvu, tu marcheras parmi les ronces, t’écorchant chevilles et mollets, trébuchant sur les pierres lisses recouvertes de lichen malodorant, tu n’auras à portée de la main nul livre, nul agenouilloir.

Tu tenteras alors de répliquer aux questions qui jailliront de chaque arbre, de chaque oiseau te voletant dans l’âme, « Dieu ». T’entend-il, tu n’en sauras rien. T’entends-tu seulement? Tu en douteras. Puis s’instillera la conviction que tu es seul devant rien. Que Son jugement est le tien, que Sa perfection n’est que le reflet de ton ambition déchue.

Dès lors tu t’autodétermineras. Les pieds plantés d’épines, les jambes ensanglantées, tu continueras d’avancer, parce qu’il faut bien te semblera-t-il retrouver une voie, parce que la forêt est touffue et que tu te sentiras las d’avancer, chaque pas te blessant. Tes réponses t’auront abandonnées; elles n’auront été qu’abstraction.

* * *

Un jour à la pomme verte que tu tendras, tu auras injecté un poison. Tu te souviendras des cailloux dispersés sur ton chemin. Tu te souviendras des oiseaux qui les auront bouffés pour se caler l’estomac. Au livre dans lequel on t’avait appris à lire, tu adjoindras quelques phrases; tu sauras qu’elles constituent les réponses aux questions que d’autres ont éludées. Devant le corps empoisonné de ton fait, fruit de ta souffrance, tu gémiras et tu n’imploreras que toi-même.

Tu auras croqué la même pomme.

 

 

Exit. 5

Tu sais pas
Le liège qui me dort dans les veines
Les carrousels qui dansent au rebord de la Seine
Où tu virevoltes acrobate en mes songes
Voguant dans l’onde où tu me longes

Tu sais pas

La fête foraine qui prend place les matins
Les jours de pluie, les rideaux de satin
Les bedeaux qui sirotent leur pastis
Et la guerre qui éclate en Ukraine
Les Roms qui gueulent leurs amours factices
Et le liège qui me dort dans les veines
Tu sais pas

Tu sais rien de tout ça

Tu sais pas
La couleur des néons qui transpirent
L’odeur âcre de la foule qui respire
Se meut, croît, décroît, me chavire
La grande roue qui descend me ravir

Tu sais pas

Les funambules qui piétinent
Le fil d’Ariane où je me pends
Et l’esquive du désir qui m’escrime
Les guitares que j’entends
Les chants, les oiseaux qui s’emmêlent
Autour d’un crochet de présents
Pour les habiles tourmenteurs qui te hèlent
Les démonstrations de talent
Contre la monnaie de ma pièce
Et ton effigie qui me frappe
L’œil dédaigneux des abbesses
Et la foire qui me happe

Tu sais pas

Le ciel dardé d’artifices
Les étoiles où je m’éclate
Pour prolonger ton vice
Et le pourpre écarlate

Tu sais pas
Tu sais rien de tout ça

Wanna quit?
Je ne sais pas.

Exit. 4

Exit. 3

Exit. 2

Exit.