L’extraction

Ce qui m’a sorti des remblais, pour me jeter au fond de ma propre tombe: c’était avant de quitter le Jardin par la grande porte grillagée. C’était avant cette fausse résurrection qui m’a fait continuer d’habiter un corps que je faisais se mouvoir, parler, heurter des gens sur la rue, voyager, sans vivre toutefois. C’était en ce temps où mes membres, non contents d’être unis en un corps, se faisaient le moteur d’une âme pleine d’espoir. Avant que le corps ravale tout, ses membres et l’âme, pour n’être plus qu’une fin à mon existence.

Idéaux types d’un adolescent en surcroit d’intérêt, aspirations personnelles à l’émancipation collective, toutes ces bévues de l’esprit ne m’habitaient pas; elles m’incarnaient. Du corps, il n’y avait que le mouvement nécessaire à la distribution des homélies, des châtiments, et à l’absorption goulue de la grande Connaissance. Le Jardin était une mine à ciel ouvert, prête à exploser à hauteur d’homme, mais le corps n’était qu’un vecteur de ce que je présumais être une force. Il pouvait périr et l’esprit survivrait. C’est l’esprit qui mourût.

À mesure que j’extrayais des pierres, le sol autour s’effondrait, et ce qui était une tranchée devint une vallée, ce qui était un chantier, une plaie, et les alluvions la firent si tôt cicatriser. Tout champ de savoir ainsi défriché se voyait rapidement remblayer naturellement par cette prédisposition humaine à la gravité; car la peur chez mes concitoyens mime le sable déboulant au coeur du nid de fourmi. Les lois jadis avaient été érigées en mur de soutènement, et la pelouse, propre, tonte, prévenait les glissements de terrain telle une civilisation polie.

C’était avant les intégrismes torrentiels.

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