J’ai dit que je voulais parler du rapport au temps et c’était faux. (Forcément). J’ai dit que je voulais parler du rapport au temps, alors qu’on ne se rapporte pas au temps. S’il y a quoique ce soit, c’est lui qui nous rapporte. Nous dénonce.
Ce qui était vrai, ça aura été que je disais que je voulais parler du rapport entre le temps et la technologie, ce qui sera tout aussi faux. Le temps ne peut tout simplement pas se rapporter à quoi que ce soit. Il fut trop mou. Il est. Il coulera. Il fluvial. Nulle part ; le temps n’a pas de destination. S’évapore-t-il? Se dissémine-t-il? Cela impliquerait toujours qu’il aille quelque part. Qu’il se transmute, à la rigueur – « Rien ne se perd… » Pourtant, le temps, les heures, disparaissent. Cela se… cela. C. Le temps n’est qu’un vecteur, une force, peut-être. Ou rien du tout.
Est-ce le temps qui coule, qui circule? Ou est-ce nous mortels qui circulons à travers lui? Mais à travers quoi? Le temps est-il tangible? Attendez 15 ans durant votre procès avec possibilité de peine de mort, et le temps le sera sans doute, tangible. Non. Quinze années sont trop longues. Cela redevient intangible. Attendez sans savoir combien de temps vous attendrez. Combien d’heures, combien de jours, combien de décennies. Attendez en sentant l’impatience vous gravir, vous escalader, vous rendre fou, puis indifférent, puis mort. Attendez voir. Combien de temps faut-il pour que le temps nous rattrape?
Tu parles comme si tu te mouvais comme lui. Je l’ai dit. Soit il se meut, soit nous nous mouvons. Pouvons-nous concevoir que le mouvement relève de deux agents à la fois? Que le vecteur, la translation, soit à la fois celui de l’axe et celui de la substance, en laissant des traces. Vous, moi, pas lui – le temps ne laisse pas de traces. C’est nous qui nous détériorons. La matière, telle qu’elle est constituée, se désagrège. En classe, l’attention se désagrège. Emmuré, le mur se désagrège. Les molécules se séparent, se disloquent… C’est la matière, qui change, et on ose appeler ça « temps » !
Et il a fallu en faire le plan. Ou la notion de temps est-elle innée? Quoi qu’il en soit, il a fallu tracer quelque chose comme un schéma, qui puisse nous expliquer sur des quadrants que nous vieillissons. Ah! C’est qu’il existe le temps. Oui, vous savez, cette répétition des rotations de la terre sur elle-même, oui, bon, on sait….
( Je cesse de vous harceler avec ce que nous nous sommes tous dit maintes fois… Oui, parce que l’élite, ça pense à ça. Ça prend le temps, l’élite.
Ça me démangeait. J’avais envie de vous faire sentir que vous perdiez votre temps à lire ceci. Comme si vous ne le perdiez pas à chaque instant, votre temps. (C’est probablement la considération la plus vraie jusqu’ici : ne passons-nous pas notre vie à perdre le temps qu’il nous reste? Je veux dire celui-là qui nous est attribué. Je veux dire : est-ce qu’on ne perd pas son temps à perdre, à chaque minute, une minute du potentiel total de minutes que chacune de nos vies pourrait représenter? Donc, notre temps, on le perd. Il nous est enlevé. C’est un modèle soustractif. 3e quadrant. Et pourtant, ton temps plus mon temps, ça ne fait une équation valable que dans une perspective économique.))
Donc, si l’on accepte tous une certaine forme (plus pressante pour certains que pour d’autres) d’hégémonie du temps, c’est que nous concevons que le temps est donné (Comme dans l’expression « étant donné ». Isn’t this a given? Voyez-y un peu de spiritualisme si ça vous tente, de dogmatisme religieux si ça vous chante, et de putain d’éducation judéo-chrétienne de merde si ça vous dérange). Pourtant, c’est aussi un concept d’une arbitrarité sans nom ; appelons ça la « ».
Le premier qui m’a fourvoyé avec cette notion, c’est Jacquard. Il essayait de m’expliquer la théorie de la relativité restreinte (à ne pas confondre avec l’autre relativité, qui elle n’est pas restreinte), et je me bornais à n’y rien comprendre.
En gros, il s’agit du concept – établi par le même Einstein qui nous a flanqué de la connaissance de la relativité générale – selon lequel qui se meut vieillit moins. De ce que j’en comprends, cela part du principe qu’on ne peut pas transporter la lumière avec soi, malgré qu’elle se meuve, elle aussi.
Jacquard donne l’exemple hautement technologique d’un train avançant à 100 km/h, dans lequel un passager se déplacerait à 4 km/h vers la locomotive, en sorte que sa vitesse par rapport au sol serait de 104 km/h. (Jusqu’ici, rassurez-vous, je comprends tout.)
Ça se complique quand Einstein nous apprend que si la lumière, c’est-à-dire les photons qui la composent et qui ont à la fois statut d’onde et de matière, ne se meut pas avec nous, c’est tout simplement parce que la durée d’un phénomène n’est pas la même pour celui qui est au repos que pour celui qui s’active!
D’accord, j’ai triché. Le raisonnement est plutôt l’inverse de ce que je viens de dire. Tel que je le comprends, ce serait que les ondes lumineuses sont écrasées ou étendues par le mouvement d’un corps. Un peu à la manière de l’effet Doppler qui explique que le son que produit la sirène de l’ambulance soit perçu différemment lorsqu’elle s’approche (ondes écrasées) et lorsqu’elle s’éloigne (ondes étendues), la lumière, bien que mobile, ne peut dépasser 300 000 km/s parce que rien ne le peut [citation requise]. Si donc vous vous déplacez, vous déformeriez l’onde, mais pas la vitesse de la lumière. Capice?
« Allez de Paris à Lyon en prenant le TGV [la métaphore devient stratosphériquement technologique]. Vous avez deux façons de mesurer la durée du parcours : en regardant votre montre au départ puis à l’arrivée ou en regardant l’horloge de la gare de Lyon à Paris puis celle de la gare de Perrache à Lyon. Les deux mesures ne sont en réalité pas rigoureusement identiques : celle de la montre est plus courte que celle des horloges. Bien sûr, l’écart est insignifiant, mais il n’est pas nul. En admettant que le train ait roulé à 200 km/h en moyenne et que votre montre indique une durée de deux heures exactement, la durée indiquée par les horloges, si elles sont capables de la précision requise, est de 2,00000000000002 heures. La quatorzième décimale change. L’écart est si faible que personne ne peut le percevoir. Si élevée soit-elle, la vitesse du TGV est en effet dérisoire face à celle de la lumière. Mais cet écart devient de la première grandeur lorsque les objets observés sont des particules telles que celles que nous recevons du cosmos et dont les vitesses sont du même ordre que celle de la lumière. Pour ces particules, la durée d’un événement qui les concerne, par exemple leur parcours dans l’atmosphère terrestre jusqu’à leur désintégration, est beaucoup plus courte que pour nous qui les regardons passer. »[1]
C’est logique, parce que ces particules ont une vitesse proche de celle de la lumière, donc proche du maximum qu’il soit possible d’atteindre. Il s’agit donc de voir le temps non comme un absolu, mais comme un ratio, par rapport à la vitesse de la lumière. On dira donc
1 seconde
__________________________
300 000 km / seconde
et on sera désolés de ne plus se souvenir de nos notions d’algèbre pour être en mesure de s’expliquer ce que, quand même, on conçoit ; c’est à dire que ce premier calcul dure beaucoup plus longtemps que le suivant :
1 seconde
__________________________
0 km / seconde
Si on retourne l’équation à l’envers, ça reste de l’ordre du ratio, parce que notre univers impose une vitesse maximale, celle de la lumière. Ce faisant, il impose un dénominateur commun par rapport auquel tout temps doit être calculé. Plus le numérateur est grand, plus le ratio est petit, donc plus tu bouges, moins tu vieillis! Reposons-nous avec un gag de physicien :
« … un homme […] sort son chien tandis que son épouse reste à la maison. Le chien court autour de son maître et agite la queue. Au retour, le monsieur a moins vieilli que la dame, le chien moins que le monsieur, et le bout de la queue du chien, moins que le chien! »[2]
Vous ne riez pas? Vous auriez assurément raison de ne pas rire, mais pas pour les raisons que vous voyez de ne pas rire. Pleurez, plutôt, parce qu’Einstein me donne raison : le temps se plie autour de nous. Il n’existe que par l’action. Il n’existe que par nous. Au final, on s’en fout bien que le temps tel qu’on l’admet communément soit une convention un peu arbitraire – bien pratique, pourtant – car s’il ne se passait rien, le temps ne passerait pas.
Alors, oui, le temps est une dimension, et comme toute dimension, elle n’existe que lorsqu’elle est réalisée. De la même manière que la « hauteur » n’existe pas per se, mais seulement si un objet est considéré qui occupe un espace légitimant d’élever cette hauteur. Cette troisième dimension sert à mesurer l’objet, elle n’existerait pas si tout n’était que représentation. C’est donc parce que les événements ont une durée que la dimension « temps » existe, pour mesurer ces événements.
Maintenant, si ces événements se déroulent à une vitesse proche de la limite admissible dans notre univers, la vitesse de la lumière, alors ils durent moins longtemps. Ce paradoxe est insoutenable, mais répond aux lois de la physique que notre civilisation croit avoir identifiées…
Voilà une des relations décrites entre temps et technologie. Reste à l’interpréter!
[1] Jacquard, Albert. Tentatives de lucidité. Paris, Éditions Stock, 2004. p.52-53
[2] id. p. 55.