L’extraction

Ce qui m’a sorti des remblais, pour me jeter au fond de ma propre tombe: c’était avant de quitter le Jardin par la grande porte grillagée. C’était avant cette fausse résurrection qui m’a fait continuer d’habiter un corps que je faisais se mouvoir, parler, heurter des gens sur la rue, voyager, sans vivre toutefois. C’était en ce temps où mes membres, non contents d’être unis en un corps, se faisaient le moteur d’une âme pleine d’espoir. Avant que le corps ravale tout, ses membres et l’âme, pour n’être plus qu’une fin à mon existence.

Idéaux types d’un adolescent en surcroit d’intérêt, aspirations personnelles à l’émancipation collective, toutes ces bévues de l’esprit ne m’habitaient pas; elles m’incarnaient. Du corps, il n’y avait que le mouvement nécessaire à la distribution des homélies, des châtiments, et à l’absorption goulue de la grande Connaissance. Le Jardin était une mine à ciel ouvert, prête à exploser à hauteur d’homme, mais le corps n’était qu’un vecteur de ce que je présumais être une force. Il pouvait périr et l’esprit survivrait. C’est l’esprit qui mourût.

À mesure que j’extrayais des pierres, le sol autour s’effondrait, et ce qui était une tranchée devint une vallée, ce qui était un chantier, une plaie, et les alluvions la firent si tôt cicatriser. Tout champ de savoir ainsi défriché se voyait rapidement remblayer naturellement par cette prédisposition humaine à la gravité; car la peur chez mes concitoyens mime le sable déboulant au coeur du nid de fourmi. Les lois jadis avaient été érigées en mur de soutènement, et la pelouse, propre, tonte, prévenait les glissements de terrain telle une civilisation polie.

C’était avant les intégrismes torrentiels.

Le carrefour des mort-vivants

Et un jour, apparemment, on se relève. On ne meurt pas, gisant. On agonise, tout au plus, parfois longtemps, puis on se met debout et l’on marche. De toutes les fois où l’on se dit : «Ça y est, je meurs», rares sont celles où le sentiment se trouve avéré.

Or, seul, debout, avec plus personne au chevet, personne qui soit accroupi au dessus de soi, plus de fleurs sur la petite table, on n’a plus alors le choix que de se glisser les pieds dans des sandales de cuivre ou de fonte, puis de se mettre en route.

Déjà c’est un processus laborieux. Pour qui n’en a pas l’habitude, se relever de la mort n’est pas chose facile. Lapalissade. Grotesque. Les morts aujourd’hui sont mis sous verrous, avant d’être mis sous terre, alors imaginez! Il n’y a qu’aux fous à qui on donne des ailes — de belles grandes ailes «H» de béton et de brique, spacieuses et hospitalières. Les morts vivants, ces nouveau nés aux pas pesants n’ont pas cette chance. Ils avancent lentement, autour du carrefour, n’anticipant aucune décision quant à la direction qu’ils prendront. Ils savent qu’ils tourneront, longtemps, rondement, et ne choisiront peut-être même jamais leur route.

Le carrefour des mort-vivants est un petit cimetière où des hommes et des femmes, qui hier forgeaient des structures incroyables, sont empilés à la verticale dans des cercueils verrouillés qui s’ouvrent par devant. Lorsque la pluie tombe en hordes de goutelettes serrées, on en voit de ces zombies rompre leur carapace de bois et de fer, pour se lever péniblement. En dépit de ce spectacle qu’on imagine effrayant, l’endroit n’est pas si lugubre. Seulement triste.

Triste comme un aéroport où tous les passagers partiraient pour toujours en bimoteur.

Leçon d’humilité.

Ce blog ne va nulle part. Si vous avez un peu de temps à tuer, tentez l’expérience de relire. C’est pas si long. Et vous vous demanderez peut-être : c’est bien beau, tout ça, mais où il voulait en venir, ce con?

J’ai un peu oublié.

On oublie tous.

Et ça aussi, je vais l’oublier.

Si l’auteur peut se permettre une intrusion : je ne me souviens plus de ce que je ressentais au début. Je ne me souviens plus de mon incompréhension. De ma haine. De mon refus catégorique. De ma dérision. De mon impossibilité. De ma frustration. De mon non-sens. De ma découverte futile. De mon implosion. De mon rhinocéros dans l’estomac. De mes papillons dans les cheveux. De la neige fondante. De la chiasse extérieure. Et intérieure. Je ne me souviens plus de la douleur.

C’est à regrets que j’aime.

À plus tard.

JP

Messe Dominicale

Pleurons sur notre jeunesse fuyante. Pleurons, oui, pleurons notre Églises esseulée, délaissée. Laissée à elle-même dans sa vieillesse et sa sénilité. Elle fuit de partout, notre Église, dans une irrespectueuse incontinence. Ô, notre haut, Haut Savoir de l’existence humaine est durement, sévèrement éploré. Pleurons notre solitude, ce matin, car Dieu n’habite plus le coeur des jeunes. Les Jardins que notre bon Père a aménagés en nous sont méprisés, mes pauvres vieux, parce que la jeunesse nous fuit.

Pleurons, et mourons, enfin.

Jésus l’homme.

C’est qu’il faut voir comment tu légitimes ta dîme, comment tu attouches ta vie, attente à tes espérances pour un homme qui jadis est mort comme tant d’autres. Comment expliquer deux mille ans plus tard, plus tard qu’un seul homme, qu’un seul homme soit à l’origine de tant d’émeutes. En vérité, en vérité je vous le hurle, si les romains ont tué Jésus parce que les juifs ne les en ont pas empêché, alors meute d’hurluberlus, vous avez jouï d’une belle petite histoire, maintenant il faudrait peut-être cesser de nous entretuer pour Hansel et Gretel. Le dernier autodafé, je suggère que ce soit Saint-Pierre qui le réalise, mais alors tant de brûlures, tant de plaies pour un feu qui n’aura plus aucune explication, je l’admets, ce serait faute que de les détruire pour un seul homme. Conscientisons les masses, car son ignorance est lourde. Feu, Jésus quand mourras-tu donc?

Jésus n’est pas mort pour nous, il n’est jamais ressuscité, il s’est contenté de nous raconter une belle histoire, et croyez-moi, on n’est pourtant pas près de tourner la page.

Mais faudrait.

Souvenir frugal.

Elle était, de son côté de vitrine, appelée à me reconnaître. J’étais, de mon côté de vitrine, malade, saoul, de la vie qui vous recrache toujours au visage des pousses d’herbe prémastiquées. La vie devant l’amante se fait lama.

Et comment charmer encore quand les reflux gastriques giclent à vous en humecter le dos?

Elle était là et j’étais aveuglé par ma propre mort, incertaine mais prochaine. J’échafauderais des tours comme on construit de mensonges une cité d’envergure toujours trop modeste… Montréal pue à l’aube et au printemps; c’est que la Vérité est aussi laide que le Quotidien

Merde! Elle était là, et moi je me vautrais dans ma propre déchéance, avec l’espoir d’élévation.

C’était en septembre de pluie, aux abords de cette cité qui me ressemble tant, à un sandwich près d’entrer dans ce faubourg surpeuplé de professeurs qui se confessent à eux-mêmes leur fatalité et de confesseurs qui professent à tout vent leur futilité. J’irais m’abandonner au beau milieu d’un immense Jardin où les sages monologuent et les fous arborent un sourire édenté. Je devrais croire et mourir.

J’eus pu choisir autrement. Mais j’étais lâche. Paresseux comme on l’est quand l’ivresse nous gagne et que l’on ne comprend plus le sens de l’effort que lorsqu’il est question d’aller au lit. Satan, l’ivresse et l’amour. Et sur ma langue déferlaient des torrents d’une salive âpre. J’aimais bien vivre, avant de mourir.

En Quotidien, en Quotidien, je vous le dis, je n’ai jamais Connu, je n’ai jamais érigé de tour, jamais gravi d’échelle de corde. Je n’ai jamais senti mes pieds s’enfoncer dans un sol de goudron, je ne me suis jamais senti repus d’avoir bouffé l’herbe sous mes pieds. Jamais non plus je n’avais été malade avant de goûter aux déplaisirs de l’illusion.

J’étais un enfant des marionnettes à l’écran, j’étais un gosse de la piscine gonflable qu’on emplissait trois fois semaine. J’étais le kid à la balançoire bleu et blanc, le salopard qui dévissait les boyaux chez le voisin. J’étais jeune connard, crapule qui hurlait des obscénités aux bonnes femmes du dépanneur, parce que la hausse du prix du bonbon à 5 sous. J’étais le «reject» de la maternelle au collège, qui fondait en larmes pour un surnom indigne, j’étais marmiton, apprenti sorcier, architecte et cycliste, impudent, imprudent, impudique. J’aimais tout sauf les concombres, les carottes, les tomates d’hiver et les pois en conserve. C’est de la bouette ce truc là.

Puis rien. Un jour j’ai pris l’autobus et dans un Deli où l’on ne me servit rien qui fut délicieux, je lui fis face, à elle, de l’autre côté de la vitrine. Elle est du genre qui vous fixe au sol en puant d’émotion. Elle est une putain de tasse de lait chaud dans laquelle on se noie. Et ça sent le miel et autres victuailles qui beurrent et coulissent. Par la porte de secours, on voudrait fuir son propre baptême. Non! Non! je n’en veux rien Connaître!

– Colmatez cette fuite, entretins-je à l’homme d’entretien, je me suis éclaboussé le front d’H2O et de phosphate chloridrique, si ça se peut. Lui, de ne rien plus comprendre que nous, se contenta de passer son chemin jusqu’à la prochaine bouse.

Non je ne me suis jamais baptisé, ce n’était qu’une éclaboussure.

Alors j’ai pris sur moi, et je me suis répandu en bile hargneuse, parce que trop imbécile, et hagard je l’ai regardé s’enfuir dégoûtée. C’est si facile de vomir «je t’aime-quand-même-je-m’excuse-resteras-tu-quelques-instants-encore-que-je-retire-mes-paroles-non-alors-laisse-moi-te-dire-que-…-zut-elle-est-partie-je-vais-me-réfugier-dans-ce-roman-qui-parle-de-Nietzsche-comme-d’un-vieil-ami-du-canton-sud-pendant-que-le-poilu-derrière-le-comptoir-passe-la-serpillère-sur-ce-qui-ne-reste-plus-de-ma-vie…»

* * *
Ce qui vous trouble en cet instant, c’est que le cinéma américain nous a habitué aux personnages qui se réveillent quand tout devient insupportable, pas à ceux qui s’endorment. Les amerloques ne sommeillent jamais sur la beauté, ils se contentent de la baiser.