Croquer des cailloux

Tu nais et on te dit : « Dieu ». Tu ne sais trop qu’en faire. Lorsque vient le temps de te poser quelque question que ce soit, « comment ?», « pourquoi ? », surtout, « vers quoi ? », la réponse est déjà là, saillante, à l’orée du bois où autrement tu te perdrais. Devant l’immensité, comme devant toi-même, à toute question désormais tu réponds : « Dieu ».

Tu ne sais pas ce que cela signifie, pas plus que tu ne sais ce que cela évoque parmi tes confrères humains. Mais tu sais que chaque fois que le flou te devance, que le brouillard t’embrume, tu pourras dire « Dieu », et d’autres avant toi qui auront souffert de l’absence de réponse auront défini des voies, tracé des parcours que tu peux emprunter, qui seront tiens parce que tu les auras choisis, qui seront grands parce qu’on te l’aura dit.

Mais un jour, où tu auras fait faux pas… Un jour où tu auras quitté les sentiers parsemés des païens cailloux blancs de Hänsel, dépourvu, tu marcheras parmi les ronces, t’écorchant chevilles et mollets, trébuchant sur les pierres lisses recouvertes de lichen malodorant, tu n’auras à portée de la main nul livre, nul agenouilloir.

Tu tenteras alors de répliquer aux questions qui jailliront de chaque arbre, de chaque oiseau te voletant dans l’âme, « Dieu ». T’entend-il, tu n’en sauras rien. T’entends-tu seulement? Tu en douteras. Puis s’instillera la conviction que tu es seul devant rien. Que Son jugement est le tien, que Sa perfection n’est que le reflet de ton ambition déchue.

Dès lors tu t’autodétermineras. Les pieds plantés d’épines, les jambes ensanglantées, tu continueras d’avancer, parce qu’il faut bien te semblera-t-il retrouver une voie, parce que la forêt est touffue et que tu te sentiras las d’avancer, chaque pas te blessant. Tes réponses t’auront abandonnées; elles n’auront été qu’abstraction.

* * *

Un jour à la pomme verte que tu tendras, tu auras injecté un poison. Tu te souviendras des cailloux dispersés sur ton chemin. Tu te souviendras des oiseaux qui les auront bouffés pour se caler l’estomac. Au livre dans lequel on t’avait appris à lire, tu adjoindras quelques phrases; tu sauras qu’elles constituent les réponses aux questions que d’autres ont éludées. Devant le corps empoisonné de ton fait, fruit de ta souffrance, tu gémiras et tu n’imploreras que toi-même.

Tu auras croqué la même pomme.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *