Le cycle délicat de la vie

Cinq pour cent de batterie
Quatre virgule trois pour cent d’alcool
Un point trente-cinq pour cent d’amour-propre
Zéro virgule soixante-quinze pour cent de risque

Cinq pour cent de solitude
Cinq pour cent d’anxiété
Cinq pour cent de fatigue
Quinze pour cent de lassitude

Dix-sept virgule douze pour cent d’imposition marginale
Douze virgule dix-sept pour cent de matières grasses
Quatre virgule quatre-vingt-seize pour cent d’intérêt
Zéro pour cent original.

Six pour cent blessé
Six pour cent blessant
Un demi point de pourcentage de fun

Cinq pour cent spandex
(Sèche à plat)
Et toujours incomplet.

En rouge banane

Je suis encore assis là.
Troisième rangée au centre
Recroquevillé sur mon siège
L’épaule contre du vide

Les mots tombent comme des hiéroglyphes
Sculptés dans le velours et l’ardoise
(J’ai déjà écrit que j’avais entre les doigts
La perle des Antilles
Gémissante)

L’air froid dégoutte
Heurte en soubresauts la terre qui m’échappe
Qui m’échappe toujours en rafales
La terre contre le vide.

T’avais entre les doigts
L’ourlet de la robe-citron
En comptant le nombre des cailloux
Comme Hansel, qui nous sépare.

T’as les regards en jus d’orage
Je macère dans les ronces
Tu serais un Lego dans une flaque
Tu serais un bloc jaune sur un étang d’après-déluge

Je m’évade dans tes feuilles chiffonnées,
Je suis repu du jazz monotone.
J’ai vomi à côté du C-2
J’ai échappé
Le repas d’avant-hier.

Y’a pas d’horizon au-delà du carré de sable;
Les Tonkas se fracassent dans un bruit jaune et noir.

Y’a tout ce stupre autour
Agglutiné contre les murs.
Il rit de ta dérobée;
Je n’ai que le cerf-volant qui pique du nez.

Il continue de couler des vagues frettes de Wildwood au mois de mai
Je te lance des poignées de cailloux.

Tu me catapultes des montagnes.

La rigueur des faces écrasées dans les mains gauches suffoque les petits matins que tu contes
Des squelettes de fourmis longent les lettres
éparses, longues, noyées.
La piscine qui sent le chlore.

T’as le shampooing tarte-au-citron
Le mien est au Muscat,
Au cumin de supermarché
Où tu fais des courses de panier dans les allées de chips et de liqueur aux fraises

L’humeur s’éclate dans les vers de gélatine multicolores
Ça fait «squick» sous la dent
Comme du fromage trop frais
Ou de vraies gommes ballounes pognées dans les cheveux mordus en pétards rose orange bleu vert

Ça explose en flûtes de plastique partout dans l’auditorium
J’ai le coeur en maracas
(Gossé dans un vieux rouleau de Scott Towels.)

Ça chante des contines.
(Toutes en sol majeur)
Rouge jaune bleu jaune jaune rouge
La séquence s’arrondit.

Tu tiens ton verre à deux mains
Comme une tasse à bec
Pour pas renverser
le trop-plein de punch aux fruits que t’as au ventre me harcèle au grand galop
Aux abords du terrain de pétanque

Le disque de Nathalie griche sur le tourne-disque
Et y’a pas de siège assez grand pour asseoir
les larmes de crocodile sur les draps pleins de camions et de voitures ambulances.

J’ai l’amour au bloc opératoire
et y’a des oursons dessinés au plafond
Arrête de me tirer des roches.

J’ai déjà les journées pédagogiques en salle d’attente.

Ta vie contre le vide.

Noël à cran

La Main des pauvres s’est mis belle à matin.
La St-Hubert, elle s’est acheté une belle robe blanche en discount, pour se marier avec Noël.
‘Est en retard, on est le vingt-six. T’imagines-tu ça, le gros? Être en retard pour te marier?

Tu cours, tu cours, le long du rang, dans ton suit neuf, la sueur au front, l’haleine d’un charettier édenté, la chienne au coeur que tout le monde ait crissé le camp au party.

Qu’Marianne, elle ait dit «oui, je le veux»
quand le curé lui a demandé
si on callait ça off?

Puis là, t’arrives. Tout le monde se saoule au champagne.
Toi, tu sirotes un verre de vin de messe
avec le bedeau dans la Sacristie.

Caller off. Ça ne ressemble plus rien qu’à ça, Noël.
Un gros mal de tête puis une absence sans motivation.

J’ai passé la nuit à regarder dehors.
D’un coup que le Père Noël passerait.
J’y aurais offert un Coke.

Y’est pas passé.

Y passe pu depuis une couple d’années…
ça a l’air que les rennes se sont syndiqués à SCFP.
Puis ils sont en grève.
C’est ça qu’Dubuc a dit,
dans la grosse Presse.

Je sais bien, je sais bien,
c’est le carnaval du cliché,
mais je n’y peux rien,
à Noël, je suis nostalgique.

Pis la nostalgie,
parait que ça vaut encore plus cher que le bacon.

America.

Fuck yeah.

Hé Rosaire! Quelle heure qu’y est?
Neuf heures dans vingt? – Merci ben.

Ça doit être noir de monde sur l’perron du future shoppe…

Mon oncle Roger doit être nerveux là. C’est lui qui ouvre la porte c’t’année.

HAha! T’aurais dû voir ça!
Tout à l’heure, la gratte est passée.
Elle a arraché la haie, en avant.
Y’avait des lumières dedans, pis tout’.
On avait acheté ça la semaine passée.
Chez Renaud Bray.

Y vendent des décorations, astheure.

Y savent ben qu’un livre,
une fois qu’tu l’as lu,
tu ne vas pas le racheter,
si la gratte le ramasse.

… Non… Il ne reste plus de café…

C’est plate qu’tu viennes juste d’arriver.
Hier au soir, on a fait cuire la dinde
de Moisson Montréal.
Avec du Kraft Dinner qui restait.
Tout habillés en neu’
de la Saint-Vincent.

On était beaux.

On s’est saoulés la gueule avec les restants du bar de matante Yvonne, qu’est morte c’t’année, pis on a fait venir Kev’ pour qu’y nous apporte de quoi passer la nuit réveillés puis contents…

Un ben beau Noël!

Mais là, j’suis pas capable de dormir.

J’ai juste envie d’me mettre.

J’me cours après la queue comme les années qui tournent en rond, la lumière allumée, le p’tit ciel qui se réveille; j’ai faim, j’ai froid, j’ai la voix rauque puis je bave sur tout ce que je n’ai pas, comme une manière de me faire un territoire imaginaire…

Quand t’as rien, tu t’en inventes.

Comme moi, icitte, qui m’invente une vie de pauvre, parce que je n’ai même pas la misère, comme excuse, pour pas aimer Noël. J’suis rien que las, à boire du cidre avec des badauds, des bardes pis des hosties de carrés rouges, pendant qu’la gratte arrache la robe de la Main, pour violer l’pauvre monde, que Marianne se marie avec la Main, du Tex Lecor dans le tapis souillé des Noëls d’antan, pis que je me fais fourrer à grand coups d’Alain Dubuc, à m’endormir l’imaginaire parce que Noël est une ordure en vente à rabais au mois de mars…

Au bazar su’ Mont-Royal…

Exi_. 6

Sur la page de l’exil, j’ai eu un accroc, une maille tirée à vue, ordre de reconnaître mes mots, mes morts. Entre l’exil et l’exit, une barre sur un t, de celles qui nous ont manqué. Un pont. Une couture. Overlock. Du point.

Je fais des étoiles avec tes yeux
Tu fais de la lumière avec mon ventre

Je me méfie de la zone
Bien installé dans le réel

[…]

On s’est enfuis ici
En exil
Dans une crèche au milieu du blanc

D’un mur à repeindre, plus pâle je crois. Je n’ai pas compris. Le blanc n’émeut pas, il lave. À quoi bon sentir plus propre? J’ai pas souhaité la saleté, mais les motifs sont sournois. J’ai pensé faire du tie dye avec nos vies, recueillir du sable d’Anticosti pour nous teindre des jours, aussi.

Pour nous teindre du rose des flamands stéréo, pis d’autres têtes de radio. Je sais plus. Tout était coquet, propret. Gentil. Du coton d’hôpital pour étendre la chair atrophiée, la vie qui s’émeut de ses tumeurs. La lessiveuse a tourné. La vie a tourné, sur le ton trop rouge du siège.

Les mots sans venin, les regards édentés, qui ne mordent qu’une fois réunis. Plonger, plonger toujours plus creux, sous un soleil de tungstène, goûter l’amnésie, peut-être?

Regarde la vie
Par la grande bay window
Y’a des oiseaux qui se soûlent la yeule juste en planant

Toi y’a rien qui te soûle. Ni la torpeur. Ni la démence. Frapper, peut-être. Frapper dru, la chair en élan, consciente de la mort que tu portes. Au poing. Cette énergie du mal désincarné qui challenge tout, celle que je ne comprends pas; une crainte. Un regard. Tu perces, tu éclates, tu t’opaques, te sombres. Tu es un vecteur, une flèche pointée, une radiation. Dehors, tu subjugues tout.

Réfléchir? Tu ne fais que ça. Une étoile dans un bas de laine.

Un miroir aux alléluias.

Fourbes, les bonheurs s’y détournent, s’en revont souriants, sur le chemin des églises, gothiques et art déco, du joli pour ne plus rien dire, des menthes deux couleurs de restaurant cheap suspendues au bout du comptoir où s’accumulent, pour boire, les années dans le styrofoam mordillé.

J’étais pas venu pour un caramel.

Au-dehors comme au-dedans
Mon âme respire
Enfin

Les doigts collés, entortillés, pourtant toujours sur le pas de la porte. Toujours sur le pas de la porte. J’étais pas venu pour toi. Ni pour moi. Ni pour d’autres.

Venu en exil.

Reparti en exit. Une douleur de plus sous le bras gauche…

 

Le poids d’une étoile dans le bas droit.

 

 

 

Wanna quit? C’est déjà.

___________________
Et les mots de Robin Aubert, Entre la ville et l’écorce (L’Oie de Cravan, 2011.)

Exit. 5

Tu sais pas
Le liège qui me dort dans les veines
Les carrousels qui dansent au rebord de la Seine
Où tu virevoltes acrobate en mes songes
Voguant dans l’onde où tu me longes

Tu sais pas

La fête foraine qui prend place les matins
Les jours de pluie, les rideaux de satin
Les bedeaux qui sirotent leur pastis
Et la guerre qui éclate en Ukraine
Les Roms qui gueulent leurs amours factices
Et le liège qui me dort dans les veines
Tu sais pas

Tu sais rien de tout ça

Tu sais pas
La couleur des néons qui transpirent
L’odeur âcre de la foule qui respire
Se meut, croît, décroît, me chavire
La grande roue qui descend me ravir

Tu sais pas

Les funambules qui piétinent
Le fil d’Ariane où je me pends
Et l’esquive du désir qui m’escrime
Les guitares que j’entends
Les chants, les oiseaux qui s’emmêlent
Autour d’un crochet de présents
Pour les habiles tourmenteurs qui te hèlent
Les démonstrations de talent
Contre la monnaie de ma pièce
Et ton effigie qui me frappe
L’œil dédaigneux des abbesses
Et la foire qui me happe

Tu sais pas

Le ciel dardé d’artifices
Les étoiles où je m’éclate
Pour prolonger ton vice
Et le pourpre écarlate

Tu sais pas
Tu sais rien de tout ça

Wanna quit?
Je ne sais pas.

Exit. 4

Exit. 3

Exit. 2

Exit.

What grows on you?

tu grow on me
le feu dans Barcelone
avant l’épidémie
vestiges de Babylone

tu grow on me
tu glow in the dark
t’es l’aube et la nuit
la foule de Newark

I once was a kingdom
avant que tu ne le nommes
mais tu grow on me
souveraine ennemie

I once was a kingdom
But in cauda venenum
So tu grow on me
Now the kingdom’s down

t’occupes tous mes ailleurs
tu grow all over me
t’es la plaie qui me libère
d’être libre

À côté

j’suis à côté de mes pompes
assis par terre
je regarde le ciel qui tombe
paratonnerre

une marguerite entre les dents
le lac aux pieds qui part au vent
le jour a peur de voyager
noie sa quiétude dans le vouvray
le lac se mire dans ma gueule demi-onde
j’sais plus trop ce qui me fascine du monde
peut-être qu’au fond ‘ y a que de la fange
une vieille botte deux trois poissons
j’irai pas voir de toute façon
je me noierais bien dans sa face d’ange

la vieille route marche le dos courbé
moi j’ai une humeur d’angleterre

je regarde le ciel qui tombe
paratonnerre

gommés

Je suis encore tout gommé
de rhum      les yeux collés
à ton dos que      j’ignore
comme un homme
que tu paierais      plus fort
pour éteindre l’incendie
qu’autrement      tu aspires
à (grands coups) devenir
plus grande      plus belle      plus stone

J’ai fait de toi une putain
de      luxe dont j’ai pas les moyens
t’as mon drap gravé sur le flanc
de la colline contre laquelle j’hibernais
tu m’éveilles au printemps
comme on allume une lampe
j’suis même pas une lumière
et j’ai peur      de t’éteindre
quand je souffle dans ton cou
toi t’as soufflé mon être.

Reste là, rendors-toi, j’irai pas
travailler      d’autres femmes
après toi      je suis vierge      de désir
t’as épousé le pire
                   / des_espoirs
pense pas à me sourire
songe même pas à t’ouvrir
un oeil      balaye mon cafard
sous le tapis      git mon corps
Rendors-toi j’ai pas envie
                   / de mourir

                   Tu transpires
quelques gouttes      de bonheur
longent ma vicissitude
pose pas ton pied au sol
fais-moi      ton habitude
est d’allonger      les heures
ont faussé ma boussole
emmène-moi vers le Sud
j’vais faire ça vite
                / j’ai pas prévu mourir vieux.

Nowhere.

J’ai pris le transport en commun pour partir sur un nowhere. C’est exactement là que je me suis retrouvé : nulle part. Rien, personne autour. Que moi, sur une plage en neige blanche, les poches vides. Le coeur pas beaucoup plus plein. Pas d’actif. Pas de passif non plus — enfin, je ne crois pas. Enfin, j’essaie de ne pas croire ça.

À mes pieds, le fleuve, qui à cet endroit ne s’agitait pas. À peine une démarcation entre la neige mouillée par les flots, et la neige sèche comme des flocons de plastique qui ne fondraient pas entre mes mains. Dans le froid, la démarcation entre l’humide et le sec se perd, disparaît. Je me rappelle cette idée qui m’est venue : il en va de même des sentiments. Entre l’humidité moite d’un corps chaud, d’un corps fiévreux d’amour comme de haine, et un corps asséché, un visage desséché par le temps où ne s’amoncelle plus dans ces mêmes rigoles que la poussière des tempêtes de sable que l’on affronte au quotidien, il n’y a pas de frontière. Il n’y a pas de date de péremption sur nos coeurs, on ne nous avertit pas qu’on aura été «meilleur avant» pour aimer, pour vivre.

Aux lèvres, que ces mots de Léveillé : « Après la vie t’as bouffé comme elle bouffe tout l’monde ». Impossible de déterminer après quoi. On sait que c’est après parce qu’on sait bien qu’avant, « dans l’temps », c’était autre chose. Nous savons cela, mais nous avons oublié comment ça s’est passé. Nous avons dans la bouche le goût du sable et les grains qui craquent sous nos dents, les yeux qui ruissellent à sec, le visage brun. Beige. On devient beiges. À force d’affronter des tempêtes qui n’en sont pas. Des tempêtes qui nous fouettent juste parce qu’on oublie de fermer les yeux, juste parce qu’on oublie de lâcher l’accélérateur pour douze, treize ou vingt-sept secondes.

Et puis on parle de torrents, de tornades, de tsunamis, d’avalanches. Tout s’écroule. Tout fout le camp. Ça m’a frappé. J’ai chaviré. Je capote. Nos petites fins du monde personnelles et quotidiennes nous assaillent, comme si nous avions véritablement fait le choix, un jour, de nous battre. Comme s’il était toujours nécessaire de nous déchirer à coup de d’hyperboles, à coup de violences lexicales. Comme si tous les matins devant le computer nous croisions l’épée, et pas seulement nos jambes.

J’ai pris le transport en commun pour partir sur un nowhere. C’est exactement là que je me suis retrouvé : nulle part. Je ne peux pas dire si j’y étais bien ou mal, mais je sais que derrière moi la neige qui tombait recouvrait mes pas, effaçait, déjà, la distance que j’avais parcouru.