Voter, ne pas voter.

On lit depuis quelques jours des appels incessants à aller voter; le discours sur l’importance de la participation au scrutin est si hégémonique et apparemment consensuel que, bien qu’ardent défenseur du vote et militant pour un certain parti, je ne peux m’imaginer qu’on nous incite si fortement à poser un geste sans qu’il n’y ait anguille sous roche.

L’ILLUSION DE CHOIX

Et anguille il y a. Mario Roy, que je n’aime pas particulièrement citer, écrivait ce week-end que l’électeur aurait à se positionner avec son X sur deux axes à la fois. D’abord l’axe souverainiste – fédéraliste, ensuite l’axe gauche – droite. D’un seul X. Pourtant c’est encore négliger que la droite économique et la gauche sociale peuvent très bien cohabiter au sein d’un même parti. Et que la droite puisse s’intéresser à la protection de l’environnement, dans la mesure où ça rapporte. Et que la gauche néolibérale est une possibilité, voir pour référence le régime chinois. Tout cela, sans compter que les impératifs de la démocratie contemporaine n’excluent pas – loin de là – que des décisions doivent être prises pendant un mandat sans pour autant qu’il en ait été fait mention dans le programme du parti éventuellement élu.

Je n’ai pas parlé encore de l’obligation morale qu’on tente de nous passer en travers de la gorge de «voter stratégique» pour «éviter le pire», ou de l’impossibilité de nous positionner par un seul X sur des questions que préfèrent éluder certains grands partis, tous financés à la même source, donc redevables aux mêmes organisations.

Encore, ce même X n’a aucune portée sur l’influence de groupes de pression hyperactifs – et hyperfinancés, au contraire du citoyen ordinaire – relevant d’une prétendue «lucidité» dont se targuent aussi les OCDE, IEDM, Fraser Institute, et j’en passe encore trop.

L’ILLUSION D’INCULTURE

On aime beaucoup dans les présents jours se draper dans les beaux discours qui font du conflit étudiant, éventuellement social, un événement historique qui devrait faire de ce jour d’élection l’apogée de la prise de parole des «jeunes», comme si seule la «jeunesse québécoise» avait empoigné la casserole et hissé l’étendard. Saluons au passage l’aspect ségrégatif d’une telle proposition, qui radicalise ladite jeunesse dans les rangs d’une inculture politique pleine d’illusions cosmiques. On dit «jeunes», comme on dit «licornes».

Or, si bien des commentateurs notoirement paternalistes aimeraient bien dire que le vote d’aujourd’hui sera l’«examen final» que devront passer les étudiants, il faudrait d’abord noter que pour la tranche des 18-24 ans, les citoyens aux études, tout comme ceux qui détiennent un diplôme d’études post-secondaires, votent dans une proportion de 10% supérieure à ceux qui n’étudient pas, et que pour la tranche des 25-30 ans seulement, les détenteurs d’un tel diplôme sont près de deux fois plus nombreux à exercer leur droit de vote. Il appert donc que les étudiants votent déjà pas mal plus que la moyenne de leurs congénères. (source : Participation électorale
des jeunes au Canada, Document de travail d’Élections Canada, janvier 2011. [en ligne]
)

Si l’on revient à la question de l’importance du vote, notons que malgré cette perspective, ceux qui entre 25 et 30 ans étudient encore, votent à proportion subrebticement inférieure à ceux qui n’étudient plus. Devant cet état de fait, se demander pourquoi serait un devoir de citoyen, et à plus forte raison le tout premier devoir auquel devraient se livrer nos institutions démocratiques. Qu’est-ce qui pousse des gens instruits, valorisant l’instruction postsecondaire au point d’y consacrer plus de 7 ans, à s’abstenir d’exercer leur droit? La réponse à cette question n’est pas recensée ici au Québec. Mais l’inculture politique, le désintérêt et l’indifférence sont, à tout le moins, assez peu probables chez des gens qui ont atteint un niveau d’études supérieur.

Des gens qui étudient la médecine, les sciences sociales, l’économie, l’évolution d’une bactérie sous le microscope, seraient trop concentrés sur leurs recherches pour s’intéresser à tout ce à quoi leurs études seraient éventuellement utiles? Vraiment? Je formule plutôt l’hypothèse que leur hyperconscience du paradoxe démocratique évoqué plus haut soit à l’origine de leur désaffection.

Une étude sur l’engagement des femmes en politique parue en 2009 indiquait que la participation à la sphère de Dèmos s’effectuait chez elles par des voix alternatives, et constantes, qu’elles estimaient plus effectives qu’un vote aux quatre ans. À ceux qui prétextent que le vote est la condition sine qua non de l’exercice démocratique, je vous renvoie à ces journalistes qui choisissent l’abstention, prétendant ainsi ne pas influer sur leur travail. Leur influence sur notre vivre-ensemble est-elle moindre parce qu’ils ne tracent pas le X? Si Gabriel Nadeau-Dubois, Léo-Paul Lauzon ou Éric Duhaime affirmaient être abstentionnistes, diraient-on qu’ils se privent d’influencer notre démocratie? Imaginez ce qu’il en est lorsqu’on parle de gens qui, ne se contentant pas pour influencer le politique de parler, agissent, au quotidien, pour le sort de leur collectivité.

L’ILLUSION DE LÉGITIMITÉ

Car il est un second paradoxe à souligner en plus du premier. Voter, ce serait se donner la légitimité, en tant que citoyen, de marquer son désaccord ou son désaveu des politiques engagées par le parti au pouvoir. Vraiment? À l’opposé, le parti au pouvoir se targue, lui, de prendre des décisions en toute légitimité dès lors que le taux de participation est élevé, et cela malgré le positionnement éminemment paradoxal des X inscrits au suffrage.

S’il y a bien une chose que la contestation étudiante aura mis en évidence, alors qu’elle se démocratisait, c’est l’idée que même des gens qui auraient voté pour le PLQ puissent dire «je n’ai pas voté pour ça». Dès lors, un abstentionnisme qui s’appuie sur la réflexion et la participation au quotidien à la collectivité, comme c’est le cas pour une large proportion des abstentionnistes qui se réclament du nom, n’est rien d’autre qu’un refus de la prétendue légitimité d’un gouvernement qui « fait ce qu’il veut », une fois élu, à commencer par aller à l’encontre d’une grande quantité de ses promesses électorales pour des raisons qu’il réussit parfois à justifier dans l’opinion publique, quand il ne se réclame pas purement et simplement d’une supposée majorité silencieuse qui partagerait son avis.

Ce qu’un taux d’abstention élevé doit mettre en évidence, ce n’est donc pas un désintérêt pour la vie démocratique, mais une nécessaire réforme du mode de scrutin, voire de l’ensemble de la pratique de la gouvernance. Il y a de multiples raisons, maintes fois réitérées, et sérieusement documentées, qui motivent une abstention réfléchie. À côté de cela, les discours pro-vote qui dénigrent l’abstentionnisme font figure de pure démagogie, utile au demeurant à ceux qui tiennent en otage la démocratie.

À ce compte, voter, c’est légitimer un système qui ne fonctionne pas, et qui n’a aucune justification fonctionnelle de se targuer d’être démocratique. À ce compte, voter au suffrage universel sur la base des campagnes électorales basses et dénuées de débats d’idées, c’est ne pas voter sur ce qui importe. Voter, ne pas voter.

L’ILLUSION D’INFLUENCE

Naïf et plein d’illusions, j’ai choisi de voter pour un parti qui prône la réforme du mode de scrutin. Si elle devait ne pas advenir, il se pourrait bien que ce vote ait été mon dernier vote électoral auprès des instances « démocratiques » québécoises. Que d’autres aient avant moi relégué la participation électorale au rang des gestes bienpensants mais inutiles qu’ils ne pratiqueront pas ne justifie certainement pas qu’on les marginalise sans tenter de comprendre leur posture.

Et d’agir en conséquence.

Le dix au soir.

Je pensais sensiblement la même chose que toi. Discours forts, encourageants, qui témoignaient entre autres du passage de la lutte à une nouvelle étape. D’une extension-réduction de la lutte. Extension, parce qu’elle s’étend à d’autres groupes. La sensibilité s’est propagée comme les vagues concentriques par-dessus les berges atteignent parfois les chaumières.

Réduction parce que, ce faisant, les vagues n’en sont plus de 10 mètres, ou n’en paraissent plus tant. Les propos ce soir-là, paternalistes comme ceux d’un Champagne, nostalgiques, déjà, comme ceux d’un Nadeau-Dubois, ou révoltés comme ceux d’un Cyr, par leur multitude encourageaient à la poursuite. À l’épanouissement dans la diversité.

Comme le pain qui quitte le ciboire, la lutte devient des millions de petites particules qui habitent maintenant nos cellules. La lutte participe désormais de quelques entités qui lui sont extérieures. Elle est récupéré à même de nouveaux organismes. Elle sera humaine, elle sera parasitée, elle sera chiée s’il le faut, mais elle sera.

Cela ne fait plus de doute.

Cela pourtant n’était qu’un repas. Cette soirée était comme le toast final, le moment où l’on trinque une dernière fois parce qu’on s’est déjà dit «ouin, j’vais y aller, moi…
– Ouaip! moi aussi… Fatigué, là.
– On se revoit bientôt, ok? Je trouverais ça plate qu’on mette encore 40 ans avant de se voir…»

Et pleins de bons sentiments, forts de nos discussions, du repas que nous avons partagé, dont les molécules désormais feraient partie de nos deux corps, deux cent mille corps, nous irions nous coucher, lovés dans un confort à demi, mais surtout confortés d’avoir un moment pensé et goûté ensemble un seul plaisir.

C’était bon, Marianne. P’t-être ben qu’ça l’était trop.

Trop pour être agréable tous les jours comme ça. Soit on va s’habituer, soit on va en faire un moment détaché du reste de la vie. Est-ce qu’on l’a pas déjà fait?

La soirée c’était ça. Tchin! J’pense que j’ai fêlé mon verre. J’m’excuse, j’suis fatigué, j’évalue mal la force de mes mouvements. Temps que j’aille dormir, qu’on disait? Ouais. J’te fais la bise, la prochaine fois on déjeunera, peut-être? Ça nous permettra de passer la journée ensemble, peut-être…

Pis une fois au lit, deux corps, deux cent mille corps lourds, se disent que demain, c’est trop tôt, mais la semaine prochaine…? Pis on sait ben qu’on va toujours passer tout droit pour aller déjeuner. On est tellement bien dans son lit, Marianne.

Pis au fond, c’est un peu là qu’on fait la révolution, hein! Haha! Quand on y pense… Tu te souviens du Roi Lion? The Circle of Life. Y’a pas de plus précise révolution que ça. La vie est une éternelle copulation.

Mais c’est pas parce qu’on jouit que c’est vraiment l’fun.

Mais bof. C’pas déplaisant non plus.

C’est un peu tout ça qu’elle me disait, cette soirée.

C’confus.

Comment va ton bordel, toi?

L’extraction

Ce qui m’a sorti des remblais, pour me jeter au fond de ma propre tombe: c’était avant de quitter le Jardin par la grande porte grillagée. C’était avant cette fausse résurrection qui m’a fait continuer d’habiter un corps que je faisais se mouvoir, parler, heurter des gens sur la rue, voyager, sans vivre toutefois. C’était en ce temps où mes membres, non contents d’être unis en un corps, se faisaient le moteur d’une âme pleine d’espoir. Avant que le corps ravale tout, ses membres et l’âme, pour n’être plus qu’une fin à mon existence.

Idéaux types d’un adolescent en surcroit d’intérêt, aspirations personnelles à l’émancipation collective, toutes ces bévues de l’esprit ne m’habitaient pas; elles m’incarnaient. Du corps, il n’y avait que le mouvement nécessaire à la distribution des homélies, des châtiments, et à l’absorption goulue de la grande Connaissance. Le Jardin était une mine à ciel ouvert, prête à exploser à hauteur d’homme, mais le corps n’était qu’un vecteur de ce que je présumais être une force. Il pouvait périr et l’esprit survivrait. C’est l’esprit qui mourût.

À mesure que j’extrayais des pierres, le sol autour s’effondrait, et ce qui était une tranchée devint une vallée, ce qui était un chantier, une plaie, et les alluvions la firent si tôt cicatriser. Tout champ de savoir ainsi défriché se voyait rapidement remblayer naturellement par cette prédisposition humaine à la gravité; car la peur chez mes concitoyens mime le sable déboulant au coeur du nid de fourmi. Les lois jadis avaient été érigées en mur de soutènement, et la pelouse, propre, tonte, prévenait les glissements de terrain telle une civilisation polie.

C’était avant les intégrismes torrentiels.

De la haine, gratuite.

Il faut dire d’entrée de jeu qu’elle m’énerve. Pas que je la connaisse, ou quoi que ce soit, pas que je l’aie vue agir, un soir, dans un bar, avec un garçon, et feindre d’être touchée ou intéressée par le moindre de ses propos, avec pour seul objectif en tête de le ramener chez elle. Elle ne me tombe plus sur les nerfs parce que je l’aurai vue avec son enfant, l’engueuler inutilement, un matin où elle se serait réveillée d’humeur massacrante pour cause de dérèglement hormonal ou tout simplement d’envies non comblées. Je ne l’ai même pas aperçue au marché du coin de la rue tenter d’en imposer à une caissière de dix-sept ans au sujet du prix d’un fromage qui serait ou non offert à rabais selon une certaine affichette qui se serait trouvée au-dessus du réfrigérateur. Je n’en sais rien, sinon qu’elle arbore avec une fierté construite à coup de regards jetés inlassablement dans un miroir au cadre finement travaillé et peint argent, suspendu tout juste à côté de son lit, une chevelure trop courte et trop blonde, et trop placée.

Rien, donc, qui me permette de porter sur elle un jugement fondé, le moindrement informé. Mais tout, de sa voix haut-perchée, de ses tics de fillette névrosée avant l’âge, de sa manière de rejeter sur son épaule une longueur impertinente de laine blanchâtre d’une qualité suspecte tandis qu’elle tricote une bande au motif suranné qui lui servirait potentiellement de foulard un jour, pour se plaindre rageusement de ce que le fil s’emmêle, à tout moment d’une conversation inévitablement chaotique, me hérisse le poil, et pas de plaisir. La lourdeur de son ton plein d’amertume à l’égard de tout ce qui peut ressembler à la vie, le timbre surfait d’une phrase qu’elle prononce en aspirant l’air au même moment qu’elle l’expulse, comme si elle craignait que ses mots — ainsi que l’un de ses parents l’a fait, je présume — l’abandonnent du moment qu’elle les aura prononcés, évoquent à chaque instant une avarice inconsciente, qui ferait de chaque moment offert, de chaque compliment, une dette consignée pour la personne qui de son avis en aura bénéficié.

La simplicité de ma pensée me pousse à croire qu’elle m’irrite parce qu’aux bribes que je capte de sa bête discussion, les triviaux ennuis qui la tourmentent me sont d’une risible connerie. Sans doute la vérité quant à ce qui m’indispose est-elle encadrée de bois finement travaillé, et peint argent.

Une lettre pour toi

Bonsoir,

 

J’ai quand même pris le temps d’y penser, sans doute un peu trop. Tenté de me comprendre, parce que, je le sais bien, je te dois des explications.

Je te les dois, de mon humble avis, pour d’autres raisons que la seule justification. Ce serait tout presque simple, je pourrais m’en laver les mains dans le houblon, tenter de t’endormir de ma fatigue des dernières semaines, alerter la bienséance et soudoyer la bienpensance.

Or rien n’est jamais si simple et l’amitié que je te porte impose sans doute un éclaircissement supplémentaire. Seulement je patauge dans la noirceur, et j’accumule les jours sans soleil et les nuits sans sommeil. Je ne me comprends plus tant, alors s’il faut par surcroît m’expliquer…

Bienséance et bienpensance : oui, voilà deux concepts fort productifs!

La bienséance commande de réfréner les pulsions quelles qu’elles soient, afin de faire montre de politesse, de cette finesse du caractère qu’on apprécie et qui, alliée à un jugement englobant et un esprit vif, fait de l’homme, de la femme ordinaires des êtres de qualité. Je sais être cela, mais à la fin, et même au milieu, on s’en lasse et l’ivresse portée par tout ce qui sait rendre ivre ne nuit pas à lui faire sauvagement outrage : voilà pour la bienséance.

La bienpensance en revanche me parait plus complexe. Étant issu d’une famille dysfonctionnelle où néanmoins l’on valorisait et réfrénait tour à tour la réflexion, et l’inventivité aussi bien — des années plus tard, j’aurai compris que la meilleure posture était toujours d’être inventif dans mes réflexions, ce qui me gardait en tout temps des reproches et m’apprenait à n’être le serviteur d’aucune préconception — j’ai fini par développer cette espèce de complexe de la redéfinition. Ce n’est pas toujours opérant, mais en général, ça me donne l’impression d’être un peu plus libre, ce qui n’est pas à dédaigner dans la contingence qui est celle de notre génération.

Je m’explique. Si d’aucuns souffrent de divers complexes, dits «d’infériorité» et «de supériorité», les deux les plus souvent rencontrés, je prétends être porteur du complexe de la redéfinition, c’est à dire une tendance profondément ancrée à croire que les gens font erreur, qu’ils présument mal, et que la cause première de leur(s) malheur(s) s’il en est, c’est le paradigme où ils vivent et d’où ils observent le monde. C’est normal après tout et même lorsqu’on s’en porte mal, on est si bien dans ses convictions. Or on pourrait dire, si c’était volontaire, que je pratique le doute méthodique mais puisque je n’en ai depuis longtemps plus le contrôle, je me contenterai de dire que je doute. J’ai devant chaque chose et son contraire un intérêt et une curiosité, qui me font me demander s’il ne se pourrait pas que l’on se trompe sur leurs causes et conséquences, ce qui le plus souvent m’amène à voir les choses autrement, d’un point de vue qui ne se peut pas — mais au fond peut-être, si l’on change notre perspective. Chaque objet est redéfini.

Alors la bienpensance, c’est l’idée généralement admise sur ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est bon pour tout un chacun, et cela correspond à des moeurs admises en société. Mon avis? On se trompe sur ce qu’est la société. Ce qu’on la croit communément admettre est donc probablement erroné aussi…

Ainsi valorise-t-on l’amour fraternel et l’Amour lubrique, immense et béni devant «dieu», comme s’ils étaient un et deux. Je ne fais pas la différence. J’ai remarqué qu’il y avait des amours plus douloureuses, et d’autres plus délicieuses, mais que toutes étaient le plus souvent simplement orgueilleuses (oui, je viens de plugger amours, délices et orgues.). En somme je perçois l’ensemble comme un continuum. (Pour être juste, on verrait plutôt une forme aux multiples dimensions mais le cerveau n’en admet facilement que trois, à cause du monde dans lequel on vit, mais ce n’est véritablement qu’une aise de présentation si les graphiques se présentent généralement avec un axe des x et un des y. On pourrait difficilement l’imaginer, mais certaines situations imposeraient de visualiser bien davantage d’axes. La plupart du temps, on finit donc par faire plusieurs graphiques, et on devient mêlé dès le deuxième. Wonder why…)

Continuum, nous disions, à supposer qu’il soit unidimensionnel, et à l’un bout se trouveraient les amitiés telles qu’on les connait : justes, fraternelles, platoniques, pleines de sympathie et bon bref tu vois. À l’autre bout, l’amour tel qu’on l’aime bien, j’entends exclusif, pour la vie, devant le plus grand témoin qu’on ait imaginé, etc… Et comme on a horreur de ce qui n’est pas clair, on a exclu ce qui existe entre les deux. Et quand on rencontre quelqu’un qui nous plait mais avec qui on ne passerait pas sa vie, ou quand on baise en dessous des draps pour pas que Dieu voie, on dit : c’est pas le/la bon(ne).

Et les amis, c’est simple, mais s’il y a de la confusion, de l’ambiguïté on se dit : «ça ne peut pas être entre les deux». La bonne nouvelle, c’est que je parle du continuum, mais que même les deux extrêmes, pour moi, ne correspondent pas à ce que les gens disent. Heureusement que je ne vis pas leur vie parce que je ne suis à la recherche ni du parfait ami, ni de la parfaite femme. J’apprécie au contraire ces zones floues où il faut constamment tout redéfinir et si je passe de longs jours (jusqu’à la fin?) en compagnie de quelqu’une, ce sera parce qu’au coeur d’une confiance propre aux relations que l’on développe, elle m’aura tenu en haleine à ne jamais accepter le cantonnement dans un rôle bien défini.

Je crains pour l’avenir de l’humanité ces jours-ci alors qu’une femme tente le coup. D’adopter un rôle, je veux dire. Alors je la challenge. Au dedans du couple comme en dehors. (Hahaha!) J’entends d’ici le terme «tromperie». D’abord, ça ne se peut pas, tromper, parce que pour tromper il faut avoir prétendu autre chose, il faut avoir dit «j’agirai ainsi» et ne l’avoir pas fait;  depuis des lustres je ne dis plus comment je m’en vais agir.

Mais j’entends encore «quand on aime, on n’agit pas comme ça». Vraiment? C’est vrai, j’oubliais : quand on aime, on se possède, on s’exclusivise, on se lasse et on s’en va. Sauf bien entendu si c’est la bonne. Celle qui pour toujours comblera tous nos désirs et nos aspirations et nos ambitions de bonheur, celle qui en somme sera tout pour nous. Mais, bien sûr, ça ne fonctionne pas comme ça, renchérit la bienpensance. On aime, mais on garde chacun sa vie, on fait ses activités, on voit ses amis. Seulement, on est fidèle. Et je demande : fidèle à quoi? À ne pas mettre son … dans une autre … ? Parce que l’amour est exclusif…

Bon, d’accord, après, on ne se cache pas que ça fait mal, l’amour-ailleurs. Parce qu’au fond de chacun se cache un petit oiseau qui dit cui-cui-le-ciel-est-bleu-et-c’est-à-moi-le-nid.

On est, humains, à mi-chemin entre l’animal d’où l’on vient et la machine qu’on a voulue plus parfaite que nous. Cet à-mi-chemin, on a appelé ça la civilisation, et on prétend qu’être civilisé, c’est ne pas laper dans son verre d’eau, et baiser derrière une porte, mais ne connaître qu’une embrasure et en vomir, mais dans un récipient!

La bienpensance, elle m’inspire ça. Elle nous protège de grandir comme les enfants au bout d’une laisse — mais tu comprends, sinon, ils s’égarent! — et les casques de vélo et les casques de hockey et les casques de pénis. Si on n’avait pas dix-huit pouces de protection au hockey, on jouerait peut-être enfin au hockey. Si on n’avait pas de mariages implicites, peut-être saurait-on enfin se marier. La bienpensante civilisation a choisi d’abandonner massivement le mariage pour connaître cet amour où l’obligation part de soi, où l’obligation part de «sois» et parle de soie. L’erreur faite a me semble-t-il été d’abandonner l’institution pour en perpétuer les règles. Dès lors anything goes maybe, but still.

Alors en somme il m’arrive, lorsque la bienséance fout le camp — je suis fils d’une éducation privée — d’envoyer publiquement paître la bienpensance — je suis fils d’une éducation qui n’était pas privée de liberté. Entre ascétisme et hédonisme, un équilibre se crée qui m’est propre, et que je requestionne à tout moment. Car ce dont je suis tantôt sûr peut, encore tantôt, me surir.

Et c’est l’espoir de la vie qui me guide et me conduit. Je le préfère à ce camionneur qui transporte des poulets en cages de douze pouces, par douze pouces, par douze pouces, par douze unités de haut, par huit de large, par quarante-huit de long. Descartes est une condition nécessaire au transport efficace des poulets et utile à la vie humaine, pas l’inverse.

Tu te demandes pourquoi tu lis tout ça, et tu te dis peut-être que je suis fin d’être parvenu à te faire oublier la question. As-tu seulement jamais su quelle elle était, cette question?

 

Avec toute mon affection,

JP

Étreindre la carcasse.

Longtemps. C’était bien avant que le soleil ne sache qu’il pouvait briller sur les mers où tu fais course. De la mort qui s’expose en drapeaux noirs, on ne savait rien; des os croisés, aucun reflet de lune n’éclairait la blancheur.

On n’avait pas crié «eurêka», on croyait que les océans se terminaient en abymes, où chacun se noierait. Jeune civilisation qui s’ignore, qui ne s’est pas encore nommée. On peuplait alors les territoires avec effervescence et les mers engloutissaient les corps qui surchargeaient les navires. Hermine n’était pas née.

Alors, alors, il faisait sombre et de toi nous ne connaissions que l’aurore. Sur le chaos mouillé ne se reflétait qu’une lune moribonde, et cette couleur fade qu’habitent les matins d’hiver. Eux savent depuis naguère se loger n’importe où ailleurs que dans ta cale.

Alors – alors – tu n’avais pas de parole, qu’un regard. Celui-là que tu arbores les jours où la lumière ne sait plus te plaire. Celui-là qui t’illumine lorsque tu souhaites la nuit, lorsque tu laisses entrebâillées les portes blanches, afin que le froid s’immisce en chacun et brûle depuis la chair nos épidermes.

Longtemps, c’était bien avant que tu ne t’assoies à la proue, et te corrompes en figures. Depuis la vigie on criait : lumière en vue, lumière en vue! Longtemps, tu as vampirisé le jour. Longtemps, les échos du festin pillé, sur le pont lavé par les déluges, la tonne des accostés dans nos verres, et sur la clandestinité, les foudres. La mouillure a asphyxié ce qu’elle devait, laissé en cale une cargaison de nos effluves humides. Là même où s’en sont allés les mots trop lourds qu’on n’a pas osé prononcer.

Puis le Titanic a coulé. Céline a chanté, parce qu’elles chantent toutes, et toujours trop fort. Son heart a goé on. Hermine était née, avait traversé l’océan plus d’une fois; tous savaient désormais que la lune mouvait les mers, qui n’ont de fin que là où la terre leur rentre dedans. Que les navires calés de reconnaissance n’ont pour destin que de s’écorcher. Que les navires gavés de champagne tanguent, puis sombrent comme le jour qui s’arrache au ciel.

Il devrait être toute la vie seize heures moins le quart, et le Sahara nous coulerait dans les veines – ce serait de l’intérieur que nous serions écorchés. A-t-on jamais vu un mat cassé flotter auprès d’un cactus? Le soleil que tu hais perlerait sur l’écume, et à la commissure de nos routes quelques nuages pleureraient de grêle comme nous pleurons de rage.

Mais à seize heures le monde est peuplé de caravanes, de fighters aux nombres filants qui transpirent de l’atmosphère, les mers sont souillées des nappes sous lesquelles nous carburons. Nous flottons en formation, ma douce, chacun tend son filet pour nourrir sa marmaille, ma dure bataille. En ce monde, les rescapés s’intoxiquent aux pétroles écoulés sur ta paume où je flotte – car je sais bien que tu es l’océan et que je ne suis que le radeau. J’ai vu la mer déjà, j’en ai plein la cale.

Avale-moi j’irai voir la méduse à nouveau.

Croquer des cailloux

Tu nais et on te dit : « Dieu ». Tu ne sais trop qu’en faire. Lorsque vient le temps de te poser quelque question que ce soit, « comment ?», « pourquoi ? », surtout, « vers quoi ? », la réponse est déjà là, saillante, à l’orée du bois où autrement tu te perdrais. Devant l’immensité, comme devant toi-même, à toute question désormais tu réponds : « Dieu ».

Tu ne sais pas ce que cela signifie, pas plus que tu ne sais ce que cela évoque parmi tes confrères humains. Mais tu sais que chaque fois que le flou te devance, que le brouillard t’embrume, tu pourras dire « Dieu », et d’autres avant toi qui auront souffert de l’absence de réponse auront défini des voies, tracé des parcours que tu peux emprunter, qui seront tiens parce que tu les auras choisis, qui seront grands parce qu’on te l’aura dit.

Mais un jour, où tu auras fait faux pas… Un jour où tu auras quitté les sentiers parsemés des païens cailloux blancs de Hänsel, dépourvu, tu marcheras parmi les ronces, t’écorchant chevilles et mollets, trébuchant sur les pierres lisses recouvertes de lichen malodorant, tu n’auras à portée de la main nul livre, nul agenouilloir.

Tu tenteras alors de répliquer aux questions qui jailliront de chaque arbre, de chaque oiseau te voletant dans l’âme, « Dieu ». T’entend-il, tu n’en sauras rien. T’entends-tu seulement? Tu en douteras. Puis s’instillera la conviction que tu es seul devant rien. Que Son jugement est le tien, que Sa perfection n’est que le reflet de ton ambition déchue.

Dès lors tu t’autodétermineras. Les pieds plantés d’épines, les jambes ensanglantées, tu continueras d’avancer, parce qu’il faut bien te semblera-t-il retrouver une voie, parce que la forêt est touffue et que tu te sentiras las d’avancer, chaque pas te blessant. Tes réponses t’auront abandonnées; elles n’auront été qu’abstraction.

* * *

Un jour à la pomme verte que tu tendras, tu auras injecté un poison. Tu te souviendras des cailloux dispersés sur ton chemin. Tu te souviendras des oiseaux qui les auront bouffés pour se caler l’estomac. Au livre dans lequel on t’avait appris à lire, tu adjoindras quelques phrases; tu sauras qu’elles constituent les réponses aux questions que d’autres ont éludées. Devant le corps empoisonné de ton fait, fruit de ta souffrance, tu gémiras et tu n’imploreras que toi-même.

Tu auras croqué la même pomme.

 

 

Exit. 5

Tu sais pas
Le liège qui me dort dans les veines
Les carrousels qui dansent au rebord de la Seine
Où tu virevoltes acrobate en mes songes
Voguant dans l’onde où tu me longes

Tu sais pas

La fête foraine qui prend place les matins
Les jours de pluie, les rideaux de satin
Les bedeaux qui sirotent leur pastis
Et la guerre qui éclate en Ukraine
Les Roms qui gueulent leurs amours factices
Et le liège qui me dort dans les veines
Tu sais pas

Tu sais rien de tout ça

Tu sais pas
La couleur des néons qui transpirent
L’odeur âcre de la foule qui respire
Se meut, croît, décroît, me chavire
La grande roue qui descend me ravir

Tu sais pas

Les funambules qui piétinent
Le fil d’Ariane où je me pends
Et l’esquive du désir qui m’escrime
Les guitares que j’entends
Les chants, les oiseaux qui s’emmêlent
Autour d’un crochet de présents
Pour les habiles tourmenteurs qui te hèlent
Les démonstrations de talent
Contre la monnaie de ma pièce
Et ton effigie qui me frappe
L’œil dédaigneux des abbesses
Et la foire qui me happe

Tu sais pas

Le ciel dardé d’artifices
Les étoiles où je m’éclate
Pour prolonger ton vice
Et le pourpre écarlate

Tu sais pas
Tu sais rien de tout ça

Wanna quit?
Je ne sais pas.

Exit. 4

Exit. 3

Exit. 2

Exit.

Franchir un pont-levis

« Le regard suspendu sur tes châteaux d’Espagne je ne contemple plus que la tourelle éloignée où gît la menace que j’escrimais les yeux voilés dans ta grande salle de bal sous le grand lustre de la voûte où tu protèges ton désir des intrus malfaiteurs qui passés le pont-levis n’ont plus d’yeux de mains de richesses et d’armes que pour te blesser.

Je n’ai même plus la force de dire combien douce est cette vulnérabilité soudaine où je me suis plongé, fontaine aigre-douce et monument à ton effigie, l’eau tiède me fait l’effet d’un baptême de beauté et d’un châtiment de présomption, les cendres qui s’y baignent me rappellent nos amours mortes et consumées.

Je n’ai plus de mots, je n’ai plus d’images, je meurs un peu trop, toujours. Je ne veux pas mourir, je veux vivre, je veux transplanter des coeurs pour en reboiser l’Abitibi qui cerne ton domaine, (j’en ai marre de la coupe à blanc), je veux construire une mosquée, une église, un panthéon à ton nom, adjacente à ta chambre pour que tu me laisses y tenir la chaire je veux te prendre pour idole, je me veux coupable d’un péché capital, je te veux ma capitale, mon pays, ma chambre, je réside en toi, je te veux mon espace vital, mon air, mon sang, puis ma chair, je te veux moi, me veux toi, je te cannibalise, tu me vampirises, je te parasite, tu me solutionnes. Je te plus, tu me multiplies, extrapolons-nous sur une page blanche que nous déplierons, déploierons cerf-volant parachute surprenons-nous de l’ouverture, du souffle pernicieux du sol qui s’agite sous nos têtes. »

Extrait d’un brouillon du 12 octobre 2009. Rien ne se perd…