Contre la gratuité: qui les recteurs servent-ils?

À l’approche du Sommet sur l’enseignement supérieur, de vives oppositions reprennent le parquet de l’actualité, après avoir été momentanément délaissées depuis l’été dernier. Si les critiques à l’endroit de l’ASSÉ qui prône à court terme l’instauration de la gratuité scolaire se font si véhémentes, il y a tout lieu de nous demander quelles sont les raisons d’une telle opposition, ainsi que les motifs qui ont présidé à la campagne médiatique en faveur des hausses de frais de scolarité mise en lumière récemment par l’IRIS.

Les thèses qui cherchent à discréditer la gratuité scolaire sont, en elles-mêmes, trop déconnectées du monde universitaire, de ses fondements, de ses ambitions, pour être crédibles lorsqu’elles sont énoncées par les administrateurs-mêmes de ces institutions. À tel point qu’on en vient à douter de leur honnêteté. Si l’on devait instaurer chez nous la gratuité universitaire, la simple suggestion qu’un changement si radical à l’accès au système universitaire ne s’accompagnerait pas de mesures visant à encadrer l’accessibilité ne peut paraître que fallacieuse.

Cela nous amène inévitablement à chercher ailleurs les motifs qui font notamment des recteurs d’ardents défenseurs des hausses de droits de scolarité et de farouches opposants à la gratuité. Certes, ils envient les moyens dont disposent certaines universités canadiennes, qui proviennent en large proportion, il est vrai, du lourd tribut de leurs étudiants. Ces moyens pourraient cependant tout aussi bien être accordés par un gouvernement plus audacieux en matière de fiscalité. D’éminents économistes l’ont confirmé, dont Jacques Parizeau tout récemment.

La logique la plus primaire enjoint à croire que ceux qui profitent d’une option, s’ils en sont bien informés, s’en feront les plus ardents défenseurs. A fortiori lorsqu’il est question d’argent. Or dans le présent cas, ce sont les institutions financières qui profitent le plus d’un endettement individuel, quel qu’il soit. Aux intérêts perçus sur le remboursement des dettes étudiantes, dont on pourrait dire qu’ils demeurent marginaux par rapport à l’ensemble des revenus bancaires, s’ajoutent les gains enregistrés par la transformation de ces prêts en produits financiers, lesquels servent à leur tour l’ensemble du milieu financier.

Par un «heureux hasard», le dé-financement du secteur universitaire qui s’est opéré au cours des dernières années, établissant leurs revenus en fonction du seul nombre d’étudiants inscrits (EETP), a forcé les institutions à réfléchir en des termes marchands, les asservissant à l’impératif de croissance pour assurer leur financement.

Cela, surtout, devait justifier que les conseils d’administration soient cooptés par des gens du milieu financier, à la fois pour planifier des stratégies d’expansion de la «clientèle» et pour assurer aux institutions prêteuses la mainmise sur les «décisions d’affaires» des universités endettées auprès d’elles.

Ainsi, l’UQAM verra jusqu’en 2014 la présidence de son conseil d’administration assurée par Isabelle Hudon, ancienne présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et responsable du développement des marchés pour le Québec à la financière SunLife. Elle s’assoit au conseil aux côtés de Marie-Claude Boisvert, chef de l’exploitation chez Desjardins.

À Concordia, le poste de chancelier est depuis longtemps pourvu par Jacques Ménard, président pour le Québec de la BMO Marchés financiers et président du conseil de BMO Nesbitt Burns. Autour de lui sur le Board of Governors, Tony Meti, ex-VP sénior de la section banque commerciale du groupe financier Banque Nationale et Jacques Lyrette, qui est aussi l’un des administrateurs de Desjardins – Développement International.

Le scénario se répète à l’Université de Montréal, où siège Françoise Guénette, autrefois responsable de la gestion du risque, et aujourd’hui vice-présidence des services corporatifs chez Intact Corporation financière. Marc Gold l’y assiste, VP chez Maxwell Cummings, une société d’investissement immobilier et de portefeuille.

Il en est de même pour toutes les Universités: de nombreux membres des conseils d’administration sont issus directement du secteur financier, ou en ont été de proches collaborateurs auprès des gouvernements. Même le réseau de l’Université du Québec, pour l’exercice 2010-2011, comptait à son Assemblée des gouverneurs quatre membres provenant du Mouvement Desjardins, sur les six non issus du milieu académique.

Loin de moi l’idée que ces gens gouvernent nos universités avec mauvaise foi. Bien au contraire, ils en assurent la meilleure subsistance au sein même du paradigme qui est le leur: celui de la compétition, où l’innovation prend le sens de «rentabilisation contextuelle des ressources», où l’adaptabilité prend le sens de «développement à courte vue», où l’adhésion à un effet de mode a un potentiel de rentabilité immédiate plus important que la perpétuation des savoirs fondamentaux grâce à l’enseignement ou à la recherche.

Les plans directeurs et de développement qu’ils élaborent pour les Universités sont tout entiers dédiés à cette vision mercantile de l’instruction. L’incessante création de programmes hybrides en est un exemple probant. Ces baccalauréats en médias numériques et autres certificats en gestion de la chaîne d’approvisionnement, axés surtout sur la transmission de compétences techniques, ne s’intéressent à la connaissance que de façon superficielle.

De tels programmes de formation ont une date de péremption. Les techniques évoluent nécessairement, ou passent. Rapidement, les diplômés formés à des méthodes obsolètes, insuffisamment outillés pour transposer leurs connaissances, se condamnent à la formation continue et viennent grossir les rangs de la population dépendante à l’institution. Rien d’étonnant au fait qu’un tel discours convainque un recteur soucieux de voir son institution briller parmi les meilleures.

Doit-on y voir une machination destinée à prendre le pas sur l’ensemble de la société ? Peut-être pas. Consciemment ou non, ces gens reproduisent tout simplement les méthodes qu’ils appliquent dans d’autres secteurs de l’économie. Car le savoir n’est pour eux que ça : un secteur de l’économie. Il est donc tout naturel qu’ils cherchent également à y avantager ce sans quoi l’économie contemporaine s’écroulerait : la dépendance menant à la surconsommation, et la surconsommation au crédit.

Après, ce n’est qu’affaire de créer le besoin initial. Les Ménard, Hudon et al. ne donnent d’ailleurs pas leur place lorsqu’il est question de dénigrer la qualité de la main d’œuvre québécoise, prétendument sous-diplômée.[1] [2] [3]

Une instruction gratuite, libre et accessible est donc non seulement viable économiquement, mais elle serait probablement gage d’une instruction de meilleure qualité, non vouée à une obsolescence rapide. Tout recteur nommé par un conseil d’administration formé de l’élite intellectuelle de nos Universités, plutôt qu’une élite affairiste, s’empresserait sans doute de nous en convaincre.



[1] Bérubé, A. «Un plaidoyer pour l’innovation et la productivité», La Tribune, vendredi 18 juin 2010, p. 13.

[2] Shaeffer, M.-È. «Les jeunes devront être plus productifs que leurs parents», Métro (Montréal), mardi 28 septembre 2010, p. 10.

[3] Milette, L. «La Chambre de commerce de Montréal fait sa profession de foi à l’égard de l’enseignement supérieur», Les Affaires, lundi 12 février 2007

 


Une définition au sommet…

GRATUITÉ [ɡʁatɥite] n.f. Caractère de ce qui est gratuit, que l’on donne sans faire payer. Enseignement gratuit.

Même si nos raisons diffèrent, il est difficile de ne pas souscrire au diagnostic de la rectrice de l’Université McGill, Heather Monroe-Blum, qui déclarait la semaine dernière que le Sommet élaboré par le Parti québécois au sujet de l’enseignement supérieur est une vraie « farce ».

Après avoir tenté de discréditer l’ASSÉ en qualifiant la revendication de gratuité scolaire d’irréaliste et de radicale, le ministre Pierre Duchesne se retrouve aujourd’hui face au conseil national de son propre parti qui préconise un gel « ou toute autre proposition permettant de diminuer l’endettement étudiant ».

Devant cet imprévu qui met en évidence le schisme qui s’opère au PQ, dont la base militante-même ne se reconnaît plus dans les positions du gouvernement, Marois est accourue pour échouer à sauver la face en servant aux médias un contresens comme ceux auxquels nous avait habitués le gouvernement de Jean Charest. «Pour moi indexation égale gel », a en effet déclaré sans sourciller la première Ministre.

Non seulement cela ajoute-t-il au poids déjà insoutenable de la dérive sémantique à laquelle nous avons assisté au Québec depuis un an, mais on y voit confirmé ce que nous savions déjà : les décisions du Sommet sont prises, et il faut pour le PQ parvenir à tout prix à les justifier à l’opinion publique, quoi qu’il advienne. Même si l’on doit pour ce faire, et à l’encontre de ses propres militants, réécrire le dictionnaire.

Même s’il faut également renier ses engagements électoraux – d’ailleurs l’argument du déséquilibre du dernier exercice financier sera toujours là pour justifier qu’on n’en respecte aucun, n’est-ce pas ?

Pourtant, de tout ce Sommet, le plus inacceptable sera très certainement tout ce qu’on n’en dit pas maintenant – et qui menace néanmoins de s’y décider.

La différenciation de la tarification (c’est bel et bien de cela qu’il s’agirait désormais) selon les programmes d’études, voire selon l’institution fréquentée, est une menace de marchandisation absolue de l’instruction universitaire. Si l’on paie pour son baccalauréat comme pour un grille-pain, on est en droit de comparer les deux : a-t-on vu la qualité des grille-pains s’améliorer, récemment ? La prochaine étape qui, elle, ne se discutera pas sur la place publique, ce sera l’obsolescence programmée des formations universitaires.

Paradoxalement, l’assurance qualité qu’on tentera de nous faire gober en douce comme devant empêcher cette dérive est précisément conçue pour la stimuler. L’industrie souhaite un arrimage de l’Université à ses exigences, lesquelles sont déjà complètement périmées en quelque cinq ans. Le jour où les entreprises embaucheront des jeunes diplômés tout formés pour leurs besoins, ce sera signe que les diplômes ont perdu de la valeur, pas l’inverse.

Qu’à cela ne tienne, le remboursement proportionnel au revenu (que le Conseil du Patronat garde sous respirateur artificiel dans les médias) vous permettra de retourner sur les bancs d’école en continuant à vous endetter – et ne faire que cela votre vie durant – sans empêcher la famille, comme on disait.

Le centre-gauchisme de surface du Parti Québécois souffre soit d’aveuglement volontaire, soit de l’exact même souffle au cœur que la CAQ ou le PLQ : un tout-à-l’économie qui force une vision bornée à l’immédiat et fait oublier que le peuple est là, partout autour des colonnes de chiffres.

Semblerait que Marois, Duchesne et les autres l’aient oublié, s’ils l’ont jamais su. Il faudra être là pour le leur rappeler, le 26 février prochain, en marge de la Farce sur l’enseignement supérieur.

D’ici là, on a cru bon fournir une définition du mot « gratuité ».

 

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Ce texte a été originalement publié dans L’ASSAUT des sciences humaines. Le bulletin d’information de l’AFESH-UQAM, Édition du lundi 11 février 2013.

Nous n’avons rien gagné qu’une bataille

Nous y voici; à deux semaine de la date anniversaire des premiers votes de grève massifs qui devaient conduire au plus important mouvement de contestation étudiante que le Québec ait connu. À la fois par sa longévité, son intensité, et par sa popularité, le printemps érable aura redéfini la nature même des mouvements sociaux chez nous.

Pertinent et obstiné, ce printemps aura fait hurler (d’humiliation) tous ceux qui raillaient depuis leur confortable chaise de chroniqueurs l’apathie présumée, le désengagement prétendu et le manque de détermination supposé de notre génération qui, il est vrai, avait peu fait jusqu’alors pour les contredire. Continuer la lecture de « Nous n’avons rien gagné qu’une bataille »

Art jetable

Le tout nouveau complexe 2-22 Sainte-Catherine, propriété de la Société de Développement Angus (SDA), a été inauguré cette année en grandes pompes. L’immeuble sis au coin de Saint-Laurent et Sainte-Catherine, deux artères parmi les plus importantes de l’histoire de Montréal, abrite la radio communautaire CIBL, le guichet La Vitrine qui rassemble sous une même marquise toute l’offre culturelle de la métropole, et de nombreux organismes culturels.
 Rien de plus normal, donc, que de s’attendre à ce que la SDA innove en matière d’intégration des arts à l’architecture, pour répondre à la célèbre «politique du 1%» en vigueur depuis 1961, voulant que tout édifice à vocation publique consacre un pourcent de son budget global à une oeuvre d’art.

Et c’est précisément sous ce vocable d’innovation que le projet du 2-22 a été présenté: on y tiendra une fois l’an, et ce pour les cinq prochaines années, une performance artistique évolutive, intégrée à l’architecture. L’artiste Thierry Marceau en sera maître d’oeuvre, et c’est à même la vitrine de l’édifice qu’il effectuera sa performance, un rappel d’une oeuvre phare de l’art contemporain réalisée en 1974 par Joseph Beuys.

Or, de quelle innovation s’agit-il exactement? Certes, l’initiative de la SDA et de Marceau renouvelle la portée de la politique du 1%. Certes, la valorisation de l’art performatif, souvent mésestimé, en plein coeur du centre-ville montréalais a de quoi réjouir. Toutefois, la production et la diffusion d’une telle performance dans le cadre de la Politique d’intégration des arts à l’architecture me semble aussi innovante que l’invention du rasoir BIC jetable…

Une innovation à double-lames

N’est-ce pas formidable que la performance jouisse enfin du même sort que les arts plastiques? Le dire comme ça, c’est le voir en terme de financement des artistes. Profiter d’une vitrine, dans tous les sens du terme, et d’une vente, est une chance hors du commun. C’est bien, mais ça ne remplit que le tiers de la mission de la politique du 1%, laquelle mission se décompose en trois volets: la transaction, la diffusion et l’éducation.

Il y aura bien entendu financement de cette oeuvre de performance, son «achat» étant bel et bien contracté. Encore que, à la différence d’une oeuvre d’art plastique dont l’utilisation subséquente se voit également rétribuée, la performance ne pourra pas quant à elle se retrouver dans une autre oeuvre, cinématographique, télévisuelle ou photographique. En temps normal, cette reproduction de l’oeuvre assure à l’artiste ou à sa succession des revenus lorsque celle-ci se retrouve dans une scène de film ou lorsque l’on s’y intéresse plus directement comme dans le cas des séries ART PUBLIC et VU PAR HASARD que produit ARTV.

On peut aussi arguer que le volet diffusion se réalise pleinement parce qu’on s’attend tout de même à ce que ladite performance soit médiatisée. Mais l’instantanéité de la diffusion pose problème en ce qu’aucune trace de la performance ne subsistera a posteriori sur les lieux de l’événement. Même s’il devait y avoir des photographies, ou une vidéo intégrée à l’architecture, ce n’est pas l’oeuvre elle-même, dans tout ce qu’elle peut avoir de grandiose lorsqu’on y accorde 1% d’un tel budget de construction, qui subsistera.

Idem pour le volet d’éducation. La momentanéité de l’oeuvre ne favorise aucunement l’éducation de la population québécoise à la prégnance de l’art qui se pratique en cette province, du moins pas autant que lorsque l’oeuvre EST là, RESTE là. Les objectifs de la «loi du 1%» en cette matière ne peuvent être accomplis que par la multiplicité d’oeuvres d’art. Qu’on voie de l’art partout, dans chaque immeuble, parc ou place publique, fait prendre conscience de l’importance que lui accorde cette société.

C’est beaucoup plus qu’une simple question esthétique, quoique nous y perdions aussi. L’architecture moderne se réclame peu souvent de l’art; elle répond plus généralement aux impératifs économiques, structurels et relatifs à la mode. La présence d’oeuvre d’art comblait peut-être cette lacune au plan esthétique, rappelant toujours à l’esprit du citoyen l’inestimable valeur de l’ambivalence entre le désir et la répugnance face à l’oeuvre : un questionnement dont la pertinence n’est pas à démontrer en ces temps d’esthétisme pratique…

La performance pour remplir le mandat de la Politique d’intégration des arts à l’architecture, c’est l’extension des slogans publicitaires du type «La Baie; j’aime, j’achète» à la sphère publique, sans qu’on en vienne jamais à se questionner quant à ses suites: «Et si je n’aime plus, est-ce que je jette ?!».

Au plan symbolique, c’est donc une survalorisation de l’aspect transactionnel de la Politique, et tout en même temps le refus de ce que l’art peut avoir de plus dérangeant – éventuellement, j’oserais avancer, «d’utile» à la civilisation – c’est à dire sa pérennité. L’art témoigne d’un présent et d’un passé. Parfois même d’un avenir. Il en témoigne malgré nous, parce qu’il est là. Tous les jours. Qu’il s’impose à nous. Tous les jours. Dans le présent, et dans chaque réitération de ce présent. Demain, la semaine prochaine…

Le choix d’une performance, c’est affirmer que, oui, on va assumer la responsabilité de la politique – j’insiste: au plan strictement transactionnel – mais qu’on ne va quand même pas s’encombrer de la «chose» susceptible de nous rappeler à tout moment qui nous sommes.

«Je me souviens»? Le moins possible, on dirait…

Haro sur l’intelligence.

Répondre au dernier billet de Lysiane Gagnon me vaudra sans aucun doute des accusations de perte de temps. C’est que le jeu de Don Quichotte est l’expression d’une servilité insidieuse en apparence contre-productive, dès lors que ce n’est plus le vent mais le moteur de l’économie triomphante qui fait tourner les pales du moulin… Ça ne devrait pas pour autant nous garder de séparer le bon grain de l’ivraie!

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Il est toujours affligeant de constater combien Gagnon et quelques uns de ses collègues de la grosse Presse aiment à se draper dans la critique de l’inculture et de l’anti-intellectualisme pour dénoncer avec le même manque de rigueur, le même efficace détournement de toutes les réalités, les «chronicailleux» de leurs concurrents médiatiques.

Ainsi Gagnon se livre dans un torchon du 8 décembre dernier à son nouveau jeu favori, broyer du carré rouge. Sous le couvert d’une dénonciation des compressions graves et potentiellement très néfastes imposées par le Parti Québécois aux universités, l’éditorialiste évite l’argumentation sur le fond en se rabattant sur les étudiants et le bon peuple ignare, qui prétendument se livrent à des «préjugés primaires contre les universités».

D’abord, les causes; ensuite les conséquences. Ce qui semble avoir mis Gagnon hors de ses gonds – à supposer qu’elle s’y soit déjà tenue droite afin que s’ouvrent sans grincement les portes des esprits -, ce serait l’apparente désinvolture avec laquelle les «leaders étudiants» auraient reçu la nouvelle des compressions susmentionnées. Ce qu’on lit en sous-texte, c’est plutôt une allergie sévère à toute prise de position, de qui que ce soit, hors du paradigme économico-élitiste.

ÉGALITÉ N’ÉGALE PAS PQ

Ainsi, sans même annoncer l’objet de sa colère, Gagnon se livre à une charge contre «l’égalitarisme primaire», en se gardant bien de dire où elle l’a vu passer récemment, si ce n’est dans ses propres réminiscences de «ces rangs dans les campagnes anciennes où toutes les habitations étaient à la même hauteur, et leurs habitants, soumis au même labeur et aux mêmes gratifications». Non sans évoquer ces habitations des pays communistes auxquels elle aime bien assimiler les organisations étudiantes, l’image trouve toutefois bien mal sa pertinence dans un contexte où les associations ne défendent en rien l’égalité des résultats mais l’égalité des chances d’accéder aux milieux d’enseignement supérieur. Et la métaphore a en plus de quoi nous laisser pantois si on réfère à l’adage populaire voulant que les administrations soviétiques aient été maîtres dans l’art de justifier que certains soient «plus égaux que d’autres», et celui de craindre leurs intellectuels…

Voilà une posture bien paradoxale, alors que les principales organisations étudiantes nationales prônent une plus grande accessibilité à des institutions supposées former… des intellectuels! Mais la position devient tout simplement intenable lorsqu’on s’attarde aux positions de la «ô si radicale» ASSÉ, qui lutte contre l’inféodation desdites institutions aux diktats du marché du travail, refusant qu’elles soient réduites à de simples lieux d’acquisition de compétences utiles, y privilégiant une perspective humaniste dans laquelle elles sont des lieux d’échange, de réflexion libre et non subsumée au marché économique.

Certes, on comprend que la réduction des investissements publics en matière de recherche rende les milieux d’enseignement encore plus tributaires de la bonne volonté (lire: de l’opportunisme) des grandes entreprises, pour lesquelles les universités représentent un bassin infini de cheap labor en R&D. La décision qui favorise cette vision du milieu universitaire a d’ailleurs été dénoncée par l’ASSÉ qui blâme le PQ de voir en « la logique du mal financement […] une excuse pour cesser d’investir en éducation supérieure ». Voilà qui relève bien l’essence du problème : le PQ se sert désormais du combat étudiant pour justifier la poursuite du travail de son décrié prédécesseur.

L’adéquation posée entre «les carrés rouges» et le gouvernement péquiste ne peut dès lors que paraître abjecte, et c’est sans mentionner les positions non partisanes, quoique très méfiantes envers le PQ, de la CLASSE qui initia la vague ayant porté tout le mouvement étudiant.

Cela devrait-il empêcher Gagnon d’imputer les deux plus récentes coupures en matière de recherche universitaire aux tractations des étudiants? Absolument pas. À quoi bon s’empêtrer de la réalité? On pourrait même aller jusqu’à insinuer, à ce compte, que «l’idéologie infantile et bornée» des étudiants provient de ce que «l’école refus[e] d’évaluer les élèves pour leur éviter le choc d’apprendre qu’il y a, dans la classe, de meilleurs qu’eux.»

DES RÉFORMES ET DES CHIFFRES.

Que nous sert donc, à nous universitaires, d’établir des faits s’il suffit de mobiliser l’épouvantail de la réforme pour rappeler à tous combien nous ne savons pas réfléchir, et encore moins reconnaître la valeur d’une réussite, incapables que nous sommes de nous comparer entre nous.

On pourrait répondre à cela que le renouveau pédagogique, loin d’éviter l’évaluation, tendait à la rendre plus juste et plus adéquate. Ainsi, il ne s’y agissait plus de compter les fautes d’orthographe dans un texte d’opinion pour accorder à son auteur les 82% que vaudrait un texte peu convaincant au vocabulaire pauvre mais correctement rédigé, et 78% à celui d’un texte au style incisif, digne d’un pamphlet politique, mais faisant montre d’une mauvaise compréhension de l’accord des participes passés. Plutôt, le renouveau pédagogique enjoignait l’enseignant de préciser au premier élève comment apprendre à s’exprimer, à l’autre, comment apprendre à écrire. Le tout en vue de passer au niveau supérieur, mais aussi d’être un citoyen fonctionnel et minimalement cultivé.

Cela s’appelle l’enseignement différencié, et cela mise précisément sur les forces et les faiblesses de tout un chacun. Qui plus est, la mise en interaction de l’un et l’autre devait favoriser une émulation réelle, où chacun était amené à constater ses faiblesses au regard des réussites d’autrui.

Toutefois, personne ne s’est aperçu que ces méthodes n’avaient jamais eu cours, la majorité de la population québécoise ayant déjà décroché de l’interminable conversation à ce sujet lorsque le gouvernement libéral a rétabli les anciennes méthodes d’évaluation, jugeant qu’il était préférable de vous dire que vous écrivez bien à 59%. Les chiffres sont plus parlants pour le vrai monde.

D’ailleurs, causant chiffres, j’avancerais que Gagnon aurait tout intérêt à réviser les siens la prochaine fois qu’elle souhaitera faire porter l’odieux d’une prise de position étudiante aux communistes-gauchistes du PQ qui auraient terni tout le système éducatif québécois avec leur maudite réforme. Ça lui permettra de constater que l’évaluation chiffrée est encore bien vivante, la compétition entre les élèves bien vive – en témoignent les «chiffres» sur la dépression chez les adolescents – et, surtout, que les «enfants de la réforme» qu’elle aime bien ridiculiser ont fait leur entrée à l’université… il y a cinq semaines.

S’il avait fallu que la réforme soit d’un égalitarisme digne des écoles soviétiques, elle n’aurait donc pas pour autant eu grand impact sur les positions de la FEUQ ou de l’ASSÉ…

DE L’ANTI-INTELLECTUALISME?

Je n’aurais pas tant à redire sur ce texte si son auteure s’était contentée de vilipender le parti québécois pour ce qui paraît être une bien mauvaise décision. Répétons-le, toute coupure en milieu universitaire contribue à transformer les institutions en des outils économiques, annihilant leurs objectifs plus proprement civilisationnels, fondés sur la perpétuation de la connaissance, de la réflexion et de l’esprit critique.

Sont-ce cependant les étudiants qui sont à blâmer, eux qui voudraient maintenir cette vocation, ou le prétendu impératif de la mise à profit immédiate d’organisations vouées à ce qui se fait lentement? De la même manière, suffit-il de laisser entendre qu’il est impossible de revoir les engagements financiers de ces organisations envers ses «diplomates», ses recteurs et autres structures organisationnelles incarnées par des citoyens incroyablement rémunérés, ou faut-il aussi mentionner que «la réalité pourtant incontestable du sous-financement des universités» découle d’engagements qui sont le fait d’un gouvernement qui souhaitait les assujettir au Québec Inc.?

L’insulte se fait plus particulièrement grossière lorsque tous ces non-dits révèlent une réalité bien plus complexe, à laquelle ont réfléchi des étudiants, des professeurs, des chercheurs qui constituent la plus grande part de la communauté universitaire, celle-là même qu’elle prétend défendre.

En alléguant que cette communauté ne valorise qu’«un service directement destiné à leurs précieuses petites personnes», en méprisant son effort de réflexion, en dénigrant son jugement, Gagnon ne nous livre en fait rien de moins qu’une «incontestable» démonstration de ce que c’est que l’anti-intellectualisme.

 

Noël à cran

La Main des pauvres s’est mis belle à matin.
La St-Hubert, elle s’est acheté une belle robe blanche en discount, pour se marier avec Noël.
‘Est en retard, on est le vingt-six. T’imagines-tu ça, le gros? Être en retard pour te marier?

Tu cours, tu cours, le long du rang, dans ton suit neuf, la sueur au front, l’haleine d’un charettier édenté, la chienne au coeur que tout le monde ait crissé le camp au party.

Qu’Marianne, elle ait dit «oui, je le veux»
quand le curé lui a demandé
si on callait ça off?

Puis là, t’arrives. Tout le monde se saoule au champagne.
Toi, tu sirotes un verre de vin de messe
avec le bedeau dans la Sacristie.

Caller off. Ça ne ressemble plus rien qu’à ça, Noël.
Un gros mal de tête puis une absence sans motivation.

J’ai passé la nuit à regarder dehors.
D’un coup que le Père Noël passerait.
J’y aurais offert un Coke.

Y’est pas passé.

Y passe pu depuis une couple d’années…
ça a l’air que les rennes se sont syndiqués à SCFP.
Puis ils sont en grève.
C’est ça qu’Dubuc a dit,
dans la grosse Presse.

Je sais bien, je sais bien,
c’est le carnaval du cliché,
mais je n’y peux rien,
à Noël, je suis nostalgique.

Pis la nostalgie,
parait que ça vaut encore plus cher que le bacon.

America.

Fuck yeah.

Hé Rosaire! Quelle heure qu’y est?
Neuf heures dans vingt? – Merci ben.

Ça doit être noir de monde sur l’perron du future shoppe…

Mon oncle Roger doit être nerveux là. C’est lui qui ouvre la porte c’t’année.

HAha! T’aurais dû voir ça!
Tout à l’heure, la gratte est passée.
Elle a arraché la haie, en avant.
Y’avait des lumières dedans, pis tout’.
On avait acheté ça la semaine passée.
Chez Renaud Bray.

Y vendent des décorations, astheure.

Y savent ben qu’un livre,
une fois qu’tu l’as lu,
tu ne vas pas le racheter,
si la gratte le ramasse.

… Non… Il ne reste plus de café…

C’est plate qu’tu viennes juste d’arriver.
Hier au soir, on a fait cuire la dinde
de Moisson Montréal.
Avec du Kraft Dinner qui restait.
Tout habillés en neu’
de la Saint-Vincent.

On était beaux.

On s’est saoulés la gueule avec les restants du bar de matante Yvonne, qu’est morte c’t’année, pis on a fait venir Kev’ pour qu’y nous apporte de quoi passer la nuit réveillés puis contents…

Un ben beau Noël!

Mais là, j’suis pas capable de dormir.

J’ai juste envie d’me mettre.

J’me cours après la queue comme les années qui tournent en rond, la lumière allumée, le p’tit ciel qui se réveille; j’ai faim, j’ai froid, j’ai la voix rauque puis je bave sur tout ce que je n’ai pas, comme une manière de me faire un territoire imaginaire…

Quand t’as rien, tu t’en inventes.

Comme moi, icitte, qui m’invente une vie de pauvre, parce que je n’ai même pas la misère, comme excuse, pour pas aimer Noël. J’suis rien que las, à boire du cidre avec des badauds, des bardes pis des hosties de carrés rouges, pendant qu’la gratte arrache la robe de la Main, pour violer l’pauvre monde, que Marianne se marie avec la Main, du Tex Lecor dans le tapis souillé des Noëls d’antan, pis que je me fais fourrer à grand coups d’Alain Dubuc, à m’endormir l’imaginaire parce que Noël est une ordure en vente à rabais au mois de mars…

Au bazar su’ Mont-Royal…

Petite recette d’assimilation

L’UQAM allonge les séances de cours à plus de 4h. Prologue:

Alors vous vous êtes dit: «les élections vont régler la question de la hausse.»

Vous vous êtes crus. Vous avez voté pour un retour en classe. Vous n’avez pas négocié grand chose, vous aviez hâte d’obtenir votre «crisse de diplôme».

Vous vous êtes dit: «Nous avons bloqué la hausse. Objectif atteint.» Vous aviez oublié que l’objectif était plus grand, plus complexe. Que l’objectif était de faire de l’instruction quelque chose d’accessible, d’accessible pour vrai, dans une perspective un peu plus humaniste, et un peu moins consommatrice.

Mais vous étiez si contents de retourner en classe. Pis surtout, vous aviez un peu gagné. Vous étiez un peu plus affirmé, un peu moins un numéro. Les profs étaient encore de votre bord, fallait pas se les mettre à dos complètement.

Pis là, vous vous êtes rendu compte que vous vous faisiez niaiser par le Parti Québécois. Qu’ils n’avaient pas trop l’intention de vous écouter. Qu’ils n’avaient pas d’intention eux-mêmes, en fait. Qu’ils allaient faire comme tout le monde et laisser «le contexte» gouverner.

Mais «le contexte» va s’assurer de vous avoir au détour. Au mois de mars, on n’aura «pas le choix», et on va vous augmenter ça sévèrement, vos frais de scolarité. Mais pas maintenant. Pas dans les 100 jours du début du mandat. Avant ça, on va vous écoeurer.

On va vous laisser finir votre session, mais on va vous faire un horaire comprimé. On ne vous laissera pas trop le temps de réfléchir à ce que vous étudiez, on va vous donner deux séances par semaine du même cours. On ne vous laissera pas trop le temps de travailler pour payer tout ça, on va vous donner des cours le samedi. On va multiplier les erreurs du bureau de l’Aide financière aux études, afin que vous ne puissiez pas payer le loyer. Afin qu’on regagne l’argent de la hausse annulée. Afin que vous ayez faim et n’ayez pas le temps de contester, encore. (Bande de bébés gâtés)

Alors vous êtes retournés dans la rue. Trois jours, pas plus. Juste pour rappeler à tout le monde que rien n’est réglé, encore. Que vous vous faites enculer encore plus qu’avec les Libéraux, mais qu’on ne vous écoute même plus sous prétexte qu’«on vous a assez entendus.» Qu’importe que vous disiez autre chose, maintenant. Vous, taisez-vous, maintenant, point barre.
Vous sentez la colère qui monte, à nouveau. Vous sentez que tout n’est pas fixé, que tout n’ira pas bien, en février, en mars. Qu’on va vous enfoncer un peu plus profond la dette et l’enrichissement des témoins de la CEIC. Et si vous retourniez dans la rue? Vous recommencez à y penser.

Mais vous pensez trop, voilà. Alors vos trois jours de grève, vous allez payer pour, les zinfints. L’Université du Québec à Montréal (UQAM) va vous allonger vos séances au-delà des 3 heures réglementaires. Quatre heures. Quatre heures et demie, s’il le faut, mais vous allez la finir au plus crisse, cette session là.

Les ententes d’évaluation? On s’en fout. Maintenant, ce sont les entrepreneurs qui ont coopté le CA de l’UQAM qui décident, et eux ont décidé qu’ils allaient vous apprendre, à ne pas être d’accord. À fermer votre djeule, oui.

La liberté académique? On s’en fout. Maintenant, c’est Vidéotron (Isabelle Dessureault), la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et la Financière Sun Life, Québec (Isabelle Hudon), et Astral (Charles Benoit) qui décident[1]. Et eux, ils décident qu’un prof est un instrument servant à dispenser le savoir, comme une machine distributrice sert à dispenser du cola [2].

Et que vous, vous allez mettre votre piastre dans la slotte. Parce que, quand t’as faim, faim maintenant, tu cuisines rien.

 

Ni personne.

 

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1.http://www.instances.uqam.ca/ListeMembresInstances/Pages/ConseilAdministration.aspx
2.http://girofle2.telecom.uqam.ca/calend/courriel-com/editeur_afficheur.php?CodeMAIL=4355
 

 

Étudiant-e-s : la perception des médias

Les journaux montréalais ont-il traité équitablement les différents acteurs du mouvement étudiant du printemps 2012? Une étude produite par le Centre d’études sur les médias (CEM) de l’Université Laval montre que, comme les protagonistes du conflit le décriaient eux-mêmes, les quatre grands médias imprimés montréalais s’étaient montrés très partiaux, et majoritairement en défaveur des étudiants.

Révélée par Stéphane Baillargeon dans un article  publié ce samedi matin, l’étude présentée lors du plus récent congrès de la Fédération professionnnelle des journalistes du Québec fait état d’une polarisation des grands médias où son journal fait cavalier seul, se montrant nettement en faveur des étudiants.

Bien que peu étonnante, cette étude livre avec une méthodologie subjective mais respectant bel et bien des standards académiques un résultat qui tombe à point, alors que les professionnels de la FPJQ s’interrogent quant à l’importance de «rester crédible dans un monde polarisé». Il fallait d’ailleurs lire la bavure de Sophie Durocher de cette semaine pour se convaincre que le défi était loin d’être relevé, comme si le fait d’être un universitaire sur un panel d’invités discréditait d’emblée toute prise de position dans le cadre d’un débat

La couverture de l’étudiant hors-conflit

Quoi qu’il en soit, les organisateurs du congrès de la FPJQ semblent avoir esquivé un élément essentiel dans l’établissement de leur questionnement. S’il ne fait plus nul doute aujourd’hui que les médias racontent des histoires (story)[1] pour expliquer toute situation politique ou sociale, l’atelier proposé par la Fédération fait fi d’un des éléments fondamentaux de l’analyse d’une trame narrative, à savoir la situation initiale. Avant que ne survienne un point de rupture, enclenchant une succession de péripéties, il y a toujours un état des choses, lequel ici pourrait correspondre à la représentation favorable ou défavorable des étudiants (tout comme du gouvernement) avant le conflit.

Dans une perspective qui sort de la grève à proprement parler, la figure de l’étudiant est avant tout une figure sociale ; elle n’est pas exclusive à ce mouvement. C’est cette figure de l’étudiant que j’ai tâché de montrer lors d’une journée de réflexion présentée à l’UQAM par Figura le 28 juin dernier.

Pour y arriver, je me suis attardé à tous les articles contenant les déclinaisons du mot «étudiant», préalablement au mouvement, au cours de l’été et de l’automne 2011. J’avais donc recensé les articles allant environ d’avril jusqu’au 19 novembre 2011, soit jusqu’au weekend suivant la première grande manifestation de l’automne, ce qui m’a permis de répertorier tout près de 900 articles traitant d’étudiants, au sens large, dont j’ai retenu 92 titres plus susceptible de définir la figure étudiante qui m’intéresse.

Je vous recopie ici les résultats peut-être impressionnistes, mais non moins le fruit d’une enquête plutôt rigoureuse.

 

Le Journal de Montréal (11/approx70)

Peu enclin à s’intéresser à la communauté étudiante, dont on doit supposer qu’elle ne constitue vraisemblablement pas une part importante du lectorat, le Journal de Montréal a eu bien peu à dire sur les étudiants au cours de cette période. Des onze articles recensés, appartenant davantage à la grande famille des faits divers, soulignons celui-ci sur la tendance à ne pas obtenir de diplôme dans les délais prévus, intitulé «étudiants pas pressés», ou cet autre où on déplore que «la dépendance de certains étudiants à leur cellulaire devient de plus en plus difficile à gérer» dans les salles de classe, ce qui constitue «une plaie» qui serait «pire que la réforme elle-même».

D’ailleurs, celle-ci serait directement en cause dans l’augmentation des troubles d’apprentissage diagnostiqués selon un autre article qui laisse indirectement entendre que tous les nouveaux étudiants sont amochés, avec une introduction soulignant que «Si les enfants de la réforme performent mieux que prévu, ils représentent tout de même un casse-tête pour les cégeps…».

À l’approche de la grande manifestation du 10 novembre, on s’intéresse à ces étudiants «peu occupés» que sont les leaders étudiants, inscrits à peu de cours, mais pas à ceux qu’ils représentent, hormis un entrefilet signé Sarah-Maude Lefèvre, où on annonce que «près de 100 000 étudiants sècheront leurs cours en vue de peut-être participer à la manifestation».

Difficile, donc, d’établir une figure de l’étudiant qui émergerait de tels propos, malgré que l’approche quelque peu triviale du Journal laisse poindre le spectre de l’étudiant enfant-gâté aux multiples trouble de comportement, modelé par une nébuleuse dont le nom dit tout : la réforme.

Le Devoir (27/300)

Au Devoir, c’est autour de la discussion entourant le manifeste «pour un Québec Éduqué», où des enseignants du collégial déploraient l’octroi de diplômes au rabais que s’est cristallisée en cette année la figure des étudiants.

Quelques commentaires cinglants ou plus nuancés s’inscrivent directement dans les pages du quotidien, ou au cœur d’articles comme celui où Lisa-Marie Gervais note le propos d’une enseignante : «Je donne la note que l’étudiant mérite, mais effectivement, ça nous arrive d’avoir de la contestation de la part des étudiants. Ils vont souvent directement à la direction et elle les écoute.»

Ce à quoi des lettres d’opinion répondent: qu’« il est clair que de critiquer les étudiants évite de remettre en question plus largement la société dans laquelle ils évoluent.», comme le souligne Xavier Brouillette, professeur de philosophie désormais lui-même une figure de la grève.

Mais la question avait déjà été cernée : les étudiants sont des cancres, ayant un fort pouvoir de protestation.

Ensuite, les détracteurs d’un potentiel mouvement étudiant se sont faits prompts à commenter, précédant toute prise de position ou analyse journalistique, comme dans cette lettre de Bruno Falardeau où l’on décrie un «manque flagrant de rigueur intellectuelle, étalant un argumentaire défaillant», ainsi que «les jeunes d’une génération à même de se payer une voiture neuve ou un téléphone intelligent, de s’exiler dans la métropole pour devenir «cool et branché», de vivre en appartement dans la même ville que leurs parents ou encore de s’envoler pour les «tout inclus».

Il fallut attendre les sorties des fédérations étudiantes universitaires et collégiale, vers la mi-août, pour que l’on parle de l’endettement étudiant, ce qui devait permettre à l’éditorial de recentrer le débat, par la voix de Marie-Andrée Chouinard pour qui cela «n’a rien d’une plainte lancinante venue d’un lobby boudant le dégel des droits de scolarité. Non. Il s’agit plutôt d’un portrait qui confirme que la hausse annoncée peut modifier la composition sociale du corps étudiant.»

Les billets, lettres, analyses et descriptions d’actualité subséquents, même ceux traitant de la grande manifestation du 10 novembre, s’intéresseront donc davantage à ce sujet central des revendications des étudiants qu’à toute autre chose.

Cela inscrit donc la figure des étudiants dans la question plus vaste du surendettement québécois, et de la détermination dont font preuve les groupes sociaux, en sorte que la figure de l’étudiant en elle-même ne peut être perçue que comme un concept un peu éthéré, qui n’a pas d’incarnation propre dans la sphère sociale.

La Presse (54/500)

On remarque dans le «Plus grand quotidien français d’Amérique», une figure de l’étudiant qui se définit d’abord et avant tout par des articles de type magazine, par nature plus insidieux, mais qui attaquent la question un peu moins de front. Ainsi, hormis une réponse éditoriale de François Cardinal au manifeste évoqué précédemment, où il ne manque pas de parler d’une génération «d’enfants-rois devenus adultes», «habitués à ce que tous se plient en quatre devant eux» auxquels l’école doit néanmoins impérativement s’adapter, c’est surtout par le biais de conseils et de la couverture scientifique que se définit l’imaginaire entourant cette figure.

Un dossier de La Presse Affaires sur «la rentrée à crédit» fait état selon les dires mêmes de la FEUQ, d’un étudiant «vulnérable» très sensibles aux tactiques marketing visant à les faire souscrire au crédit privé des institutions financières. On ne manque pas de souligner en exergue que les étudiants sont «parfois dépensiers, souvent fauchés» et «inexpérimentés face au crédit», en se demandant s’ils sont «suffisamment protégés».

Dans la même édition, un article sous la plume de Paul Durivage qui vante les mérites d’une assurance domiciliaire débute ainsi : «Ordinateur portatif, cellulaire, iPod, l’étudiant moyen de niveau postsecondaire amorce l’année scolaire avec un trousseau déjà assez important pour justifier d’inclure dans ses préparatifs la souscription d’une assurance locataire pour remplacer tous ces précieux articles en cas de vol ou de dommages.»

Plus tard, quelques études sur la consommation d’alcool et de drogues chez les étudiants sont à l’origine d’articles tous plus inquiétants les uns que les autres, bien qu’on finisse généralement par reconnaître à demi-mots en fin d’article que les étudiants québécois échappent encore à ces pratiques.

Soulignant subséquemment un «concert d’appui» aux étudiants qui s’obstinent à militer contre la hausse droits de scolarité, une longue série de produits dérivés de ces opinions déjà établies s’ensuit jusqu’à l’approche de la manifestation du 10 novembre, où la «collaborations spéciales» d’Alain Dubuc fait figure d’éditorial dans un journal qui se refuse encore à se prononcer clairement.

L’éditorialiste déguisé parle alors d’une pratique ritualisée d’opposition à la hausse des droits de scolarité, pour des « étudiants et leurs familles [qui] ont droit à une panoplie de crédits et d’avantages fiscaux». Toutefois, étant donné qu’ils l’ignorent, il importerait d’y palier selon lui par une grande campagne d’information publique. Titre du papier «Du banal pas-dans-ma-cour».

De la figure étudiante on retient donc essentiellement une panoplie de propos connotés, mais rarement commentés, généralement mobilisés afin d’introduire un papier catastrophiste sur certaines mœurs des étudiants, allant de leur incapacité à gérer leurs priorités, leur argent, leur consommation et leur temps. Quant aux prises de position plus officielles du quotidien, elles s’intéressent à l’incapacité des étudiants à déterminer la valeur objective d’un diplôme universitaire.

La tentation est forte de dire que La Presse décrit les étudiants tout simplement comme des incapables.

 

Je me réserve du temps avant de commenter plus avant ces résultats, mais qu’il suffise de dire que dans un contexte où l’on se demande si les journalistes sont crédibles, il ne s’agit sans doute pas d’interroger les textes portant spécifiquement sur la grève étudiante pour obtenir une réponse valable.

Des différents ministres qui s’attendaient à devoir un jour ou l’autre affronter les étudiants jusqu’aux vendeurs d’assurances et de tout-inclus qui ne cherchent qu’à instiller l’idée que leur produit est tout dédié aux mêmes étudiants, de nombreux acteurs ont coulé des communiqués pendant des lustres avant que n’éclate le conflit. Communiqués que les journalistes et chroniqueurs de tout acabit se contentent d’observer d’un oeil froid – et surtout pressé – avant de rédiger des torchons pour vendre ces idées ou ces produits dans leur feuillet.

Or, les valeurs et idéologies qu’on scotche à qui que ce soit, en contexte médiatique, lui collent bel et bien à la peau. La construction des identités publiques est le fruit d’un travail rigoureux de salissage (ou d’encensement) par des adversaires (ou alliés) qui ont une totale mainmise sur le contenu rédactionnel de nos journaux; que des journalistes, l’air de ne pas y toucher, se demandent s’ils ont été crédibles dans la couverture d’un conflit est à la limite de l’incompétence.

C’est en amont, en décelant cet effort de diabolisation de l’adversaire qu’ils auraient pu se montrer crédibles.

[1] Voir à cet effet, en français, l’essai de Christian Salmon, Storytelling.

Exi_. 6

Sur la page de l’exil, j’ai eu un accroc, une maille tirée à vue, ordre de reconnaître mes mots, mes morts. Entre l’exil et l’exit, une barre sur un t, de celles qui nous ont manqué. Un pont. Une couture. Overlock. Du point.

Je fais des étoiles avec tes yeux
Tu fais de la lumière avec mon ventre

Je me méfie de la zone
Bien installé dans le réel

[…]

On s’est enfuis ici
En exil
Dans une crèche au milieu du blanc

D’un mur à repeindre, plus pâle je crois. Je n’ai pas compris. Le blanc n’émeut pas, il lave. À quoi bon sentir plus propre? J’ai pas souhaité la saleté, mais les motifs sont sournois. J’ai pensé faire du tie dye avec nos vies, recueillir du sable d’Anticosti pour nous teindre des jours, aussi.

Pour nous teindre du rose des flamands stéréo, pis d’autres têtes de radio. Je sais plus. Tout était coquet, propret. Gentil. Du coton d’hôpital pour étendre la chair atrophiée, la vie qui s’émeut de ses tumeurs. La lessiveuse a tourné. La vie a tourné, sur le ton trop rouge du siège.

Les mots sans venin, les regards édentés, qui ne mordent qu’une fois réunis. Plonger, plonger toujours plus creux, sous un soleil de tungstène, goûter l’amnésie, peut-être?

Regarde la vie
Par la grande bay window
Y’a des oiseaux qui se soûlent la yeule juste en planant

Toi y’a rien qui te soûle. Ni la torpeur. Ni la démence. Frapper, peut-être. Frapper dru, la chair en élan, consciente de la mort que tu portes. Au poing. Cette énergie du mal désincarné qui challenge tout, celle que je ne comprends pas; une crainte. Un regard. Tu perces, tu éclates, tu t’opaques, te sombres. Tu es un vecteur, une flèche pointée, une radiation. Dehors, tu subjugues tout.

Réfléchir? Tu ne fais que ça. Une étoile dans un bas de laine.

Un miroir aux alléluias.

Fourbes, les bonheurs s’y détournent, s’en revont souriants, sur le chemin des églises, gothiques et art déco, du joli pour ne plus rien dire, des menthes deux couleurs de restaurant cheap suspendues au bout du comptoir où s’accumulent, pour boire, les années dans le styrofoam mordillé.

J’étais pas venu pour un caramel.

Au-dehors comme au-dedans
Mon âme respire
Enfin

Les doigts collés, entortillés, pourtant toujours sur le pas de la porte. Toujours sur le pas de la porte. J’étais pas venu pour toi. Ni pour moi. Ni pour d’autres.

Venu en exil.

Reparti en exit. Une douleur de plus sous le bras gauche…

 

Le poids d’une étoile dans le bas droit.

 

 

 

Wanna quit? C’est déjà.

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Et les mots de Robin Aubert, Entre la ville et l’écorce (L’Oie de Cravan, 2011.)