Voter, ne pas voter.

On lit depuis quelques jours des appels incessants à aller voter; le discours sur l’importance de la participation au scrutin est si hégémonique et apparemment consensuel que, bien qu’ardent défenseur du vote et militant pour un certain parti, je ne peux m’imaginer qu’on nous incite si fortement à poser un geste sans qu’il n’y ait anguille sous roche.

L’ILLUSION DE CHOIX

Et anguille il y a. Mario Roy, que je n’aime pas particulièrement citer, écrivait ce week-end que l’électeur aurait à se positionner avec son X sur deux axes à la fois. D’abord l’axe souverainiste – fédéraliste, ensuite l’axe gauche – droite. D’un seul X. Pourtant c’est encore négliger que la droite économique et la gauche sociale peuvent très bien cohabiter au sein d’un même parti. Et que la droite puisse s’intéresser à la protection de l’environnement, dans la mesure où ça rapporte. Et que la gauche néolibérale est une possibilité, voir pour référence le régime chinois. Tout cela, sans compter que les impératifs de la démocratie contemporaine n’excluent pas – loin de là – que des décisions doivent être prises pendant un mandat sans pour autant qu’il en ait été fait mention dans le programme du parti éventuellement élu.

Je n’ai pas parlé encore de l’obligation morale qu’on tente de nous passer en travers de la gorge de «voter stratégique» pour «éviter le pire», ou de l’impossibilité de nous positionner par un seul X sur des questions que préfèrent éluder certains grands partis, tous financés à la même source, donc redevables aux mêmes organisations.

Encore, ce même X n’a aucune portée sur l’influence de groupes de pression hyperactifs – et hyperfinancés, au contraire du citoyen ordinaire – relevant d’une prétendue «lucidité» dont se targuent aussi les OCDE, IEDM, Fraser Institute, et j’en passe encore trop.

L’ILLUSION D’INCULTURE

On aime beaucoup dans les présents jours se draper dans les beaux discours qui font du conflit étudiant, éventuellement social, un événement historique qui devrait faire de ce jour d’élection l’apogée de la prise de parole des «jeunes», comme si seule la «jeunesse québécoise» avait empoigné la casserole et hissé l’étendard. Saluons au passage l’aspect ségrégatif d’une telle proposition, qui radicalise ladite jeunesse dans les rangs d’une inculture politique pleine d’illusions cosmiques. On dit «jeunes», comme on dit «licornes».

Or, si bien des commentateurs notoirement paternalistes aimeraient bien dire que le vote d’aujourd’hui sera l’«examen final» que devront passer les étudiants, il faudrait d’abord noter que pour la tranche des 18-24 ans, les citoyens aux études, tout comme ceux qui détiennent un diplôme d’études post-secondaires, votent dans une proportion de 10% supérieure à ceux qui n’étudient pas, et que pour la tranche des 25-30 ans seulement, les détenteurs d’un tel diplôme sont près de deux fois plus nombreux à exercer leur droit de vote. Il appert donc que les étudiants votent déjà pas mal plus que la moyenne de leurs congénères. (source : Participation électorale
des jeunes au Canada, Document de travail d’Élections Canada, janvier 2011. [en ligne]
)

Si l’on revient à la question de l’importance du vote, notons que malgré cette perspective, ceux qui entre 25 et 30 ans étudient encore, votent à proportion subrebticement inférieure à ceux qui n’étudient plus. Devant cet état de fait, se demander pourquoi serait un devoir de citoyen, et à plus forte raison le tout premier devoir auquel devraient se livrer nos institutions démocratiques. Qu’est-ce qui pousse des gens instruits, valorisant l’instruction postsecondaire au point d’y consacrer plus de 7 ans, à s’abstenir d’exercer leur droit? La réponse à cette question n’est pas recensée ici au Québec. Mais l’inculture politique, le désintérêt et l’indifférence sont, à tout le moins, assez peu probables chez des gens qui ont atteint un niveau d’études supérieur.

Des gens qui étudient la médecine, les sciences sociales, l’économie, l’évolution d’une bactérie sous le microscope, seraient trop concentrés sur leurs recherches pour s’intéresser à tout ce à quoi leurs études seraient éventuellement utiles? Vraiment? Je formule plutôt l’hypothèse que leur hyperconscience du paradoxe démocratique évoqué plus haut soit à l’origine de leur désaffection.

Une étude sur l’engagement des femmes en politique parue en 2009 indiquait que la participation à la sphère de Dèmos s’effectuait chez elles par des voix alternatives, et constantes, qu’elles estimaient plus effectives qu’un vote aux quatre ans. À ceux qui prétextent que le vote est la condition sine qua non de l’exercice démocratique, je vous renvoie à ces journalistes qui choisissent l’abstention, prétendant ainsi ne pas influer sur leur travail. Leur influence sur notre vivre-ensemble est-elle moindre parce qu’ils ne tracent pas le X? Si Gabriel Nadeau-Dubois, Léo-Paul Lauzon ou Éric Duhaime affirmaient être abstentionnistes, diraient-on qu’ils se privent d’influencer notre démocratie? Imaginez ce qu’il en est lorsqu’on parle de gens qui, ne se contentant pas pour influencer le politique de parler, agissent, au quotidien, pour le sort de leur collectivité.

L’ILLUSION DE LÉGITIMITÉ

Car il est un second paradoxe à souligner en plus du premier. Voter, ce serait se donner la légitimité, en tant que citoyen, de marquer son désaccord ou son désaveu des politiques engagées par le parti au pouvoir. Vraiment? À l’opposé, le parti au pouvoir se targue, lui, de prendre des décisions en toute légitimité dès lors que le taux de participation est élevé, et cela malgré le positionnement éminemment paradoxal des X inscrits au suffrage.

S’il y a bien une chose que la contestation étudiante aura mis en évidence, alors qu’elle se démocratisait, c’est l’idée que même des gens qui auraient voté pour le PLQ puissent dire «je n’ai pas voté pour ça». Dès lors, un abstentionnisme qui s’appuie sur la réflexion et la participation au quotidien à la collectivité, comme c’est le cas pour une large proportion des abstentionnistes qui se réclament du nom, n’est rien d’autre qu’un refus de la prétendue légitimité d’un gouvernement qui « fait ce qu’il veut », une fois élu, à commencer par aller à l’encontre d’une grande quantité de ses promesses électorales pour des raisons qu’il réussit parfois à justifier dans l’opinion publique, quand il ne se réclame pas purement et simplement d’une supposée majorité silencieuse qui partagerait son avis.

Ce qu’un taux d’abstention élevé doit mettre en évidence, ce n’est donc pas un désintérêt pour la vie démocratique, mais une nécessaire réforme du mode de scrutin, voire de l’ensemble de la pratique de la gouvernance. Il y a de multiples raisons, maintes fois réitérées, et sérieusement documentées, qui motivent une abstention réfléchie. À côté de cela, les discours pro-vote qui dénigrent l’abstentionnisme font figure de pure démagogie, utile au demeurant à ceux qui tiennent en otage la démocratie.

À ce compte, voter, c’est légitimer un système qui ne fonctionne pas, et qui n’a aucune justification fonctionnelle de se targuer d’être démocratique. À ce compte, voter au suffrage universel sur la base des campagnes électorales basses et dénuées de débats d’idées, c’est ne pas voter sur ce qui importe. Voter, ne pas voter.

L’ILLUSION D’INFLUENCE

Naïf et plein d’illusions, j’ai choisi de voter pour un parti qui prône la réforme du mode de scrutin. Si elle devait ne pas advenir, il se pourrait bien que ce vote ait été mon dernier vote électoral auprès des instances « démocratiques » québécoises. Que d’autres aient avant moi relégué la participation électorale au rang des gestes bienpensants mais inutiles qu’ils ne pratiqueront pas ne justifie certainement pas qu’on les marginalise sans tenter de comprendre leur posture.

Et d’agir en conséquence.

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