Nous y voici; à deux semaine de la date anniversaire des premiers votes de grève massifs qui devaient conduire au plus important mouvement de contestation étudiante que le Québec ait connu. À la fois par sa longévité, son intensité, et par sa popularité, le printemps érable aura redéfini la nature même des mouvements sociaux chez nous.
Pertinent et obstiné, ce printemps aura fait hurler (d’humiliation) tous ceux qui raillaient depuis leur confortable chaise de chroniqueurs l’apathie présumée, le désengagement prétendu et le manque de détermination supposé de notre génération qui, il est vrai, avait peu fait jusqu’alors pour les contredire.
À l’approche du premier anniversaire du déclenchement de cette GGI, il convient toutefois de nous demander si nous ne serions pas en train, présentement, de leur donner raison. Le moment est peut-être venu d’interroger notre réussite, mais aussi nos échecs.
QU’AVONS-NOUS GAGNÉ?
Certes, nous sommes parvenus à «bloquer la hausse», l’objectif fondamental qui devait rallier autant d’étudiant-e-s et de citoyen-ne-s à ce mouvement extra-ordinaire. Le déterminant défini «la» est important, ici. Nous avons bloqué cette hausse et, s’il n’est pas encore clair si nous devrons débourser davantage – ou plutôt combien – pour chaque session, c’est que nous n’aurons pas su ébranler à sa base une dynamique économique appliquée à l’Université, qui broie dans ses rouages toutes les luttes gagnées dès l’année suivante.
Au passage, les chantres du marché de l’instruction nous auront concédé une autre «victoire», en l’augmentation à 60 000 $ du seuil de revenu familial en-deçà duquel l’aide parentale n’est pas prise en compte dans le calcul de prêts et bourses. Une «victoire» qui n’est grosso modo qu’un ajustement nécessaire au regard de l’augmentation du coût de la vie depuis la précédente révision.
Une concession hypocrite, donc, qui devait influencer l’opinion publique, par ailleurs peu informée des frasques de l’Aide Financière aux Études (AFE) qui devait faire des excès de zèle tout l’automne, et redéfinir aux deux semaines environ le calcul du montant d’aide apportée à plusieurs étudiant-e-s. De quoi générer une profonde insécurité, et rappeler à nombre d’étudiant-e-s pris-es au coeur d’une session «garrochée» leur précarité tant académique que financière…
… pendant qu’on se faisait parler d’«angoisse fiscale» !?
Quelle est la «victoire», pour les étudiant-e-s que cette insécurité aura incité-e-s à abandonner momentanément ou définitivement leurs études pour y préférer un travail certes mal rémunéré mais un peu plus fiable? Quelle est la «victoire», pour celles et ceux chez qui le rythme effréné de la session condensée n’a pu que se répercuter sur les résultats académiques, sur l’état de santé mentale, etc.?
« Ah! S’ils s’étaient contentés d’aller à leurs cours au lieu de protester, aussi… », comme si une hausse de 75% n’allait pas ipso facto les exclure du parcours académique !
Ce que nous avons gagné, c’est une course contre la montre…
QU’AVONS-NOUS PERDU?
Paradoxalement, de toutes ces formes de précarité devaient germer de nombreuses véritables victoires populaires. Des manifs de jour, de nuit, de matin, tout nus, tout habillés, en rouge, en noir, en famille, avec ou sans casseroles, les diverses manifestations artistiques, les mini-colloques, l’université populaire, les conférences, les sit-ins, les die-ins, les love-ins et les incendies coin St-Denis et Ontario devaient permettre un «réseautage» exceptionnel, duquel devait procéder la conscience de l’Autre et la solidarité.
Ainsi des gens ont mis sur pieds un fonds de solidarité assorti d’une banque alimentaire, pour les étudiants de l’UQAM qui devaient patienter deux mois avant de recevoir leur prêt d’étude.
Ainsi les Assemblées populaires autonomes de quartier (APAQ) se sont formées partout sur l’Ile de Montréal, rapprochant des concitoyens qui s’étaient trop longtemps ignorés et qui désormais mettraient sur pied des fonds d’aide, des projets écologiques, des soirées communautaires, qui organiseraient des régiments de participants aux conseils d’arrondissement et au conseil de ville.
Ainsi des regroupements artistiques ont fait leur apparition ou leur réputation en transposant en images, en vidéos, en photographies, en textes, ce mouvement hors du commun.
Ainsi nombre d’entre nous ont pris conscience de leur pouvoir sur le monde, sur leur monde, sur ce qui nous entoure, c’est-à-dire, à la fin, du pouvoir de tout un chacun sur lui-même. Nous avons constaté qu’en nous épaulant, nous allions loin, qu’en ayant confiance en nos idées, elles pouvaient peut-être se concrétiser.
Ainsi le projet GAPPA s’est révélé, qui souhaitait mettre au jour les tactiques hypocrites, mensongères ou simplement démagogiques de certaines entreprises médiatiques.
Ainsi, tout récemment, le projet UTILE pour le Quartier Latin est né, rassemblant autour de la «ruine» qu’est l’Ilot Voyageur un collectif d’urbanistes et d’étudiants soucieux de participer à l’amélioration de l’environnement de l’UQAM.
Et il y en eut plein d’autres.
De ces groupes, bon nombre continue d’exercer sa spécialité, de promouvoir ses valeurs, de prolonger, en actes, sa vision. Des projets permanents procèdent de la fréquentation de groupes et d’autres, des amitiés nées dans l’action se perpétuent dans d’autres actions : ce sont là de grandes réussites de ce printemps érable.
Ce que nous avons perdu, c’est l’impression qu’on ne pouvait rien à rien!
ET SUR LE CHAMP DE BATAILLE
Il y a toutefois une ombre au tableau, en plus de celles énoncées ci-haut. L’effervescence de la reprise d’un certain pouvoir par la population camoufle un problème criant : les institutions n’ont pas pour autant cessé de crouler sous la mauvaise foi de celles et ceux qui les dirigent, et le cynisme ambiant qu’alimente la classe politique, en plus des nombreuses déceptions – prévisibles – encourues par le gouvernement péquiste, auront tôt fait de tromper notre vigilance.
Dès lors il ne suffit pas de prendre en main notre destinée par la promotion du communautaire; c’est paradoxalement ce que tous les gouvernements tentent de faire depuis le début des années 90 pour ne plus avoir à soutenir les structures étatiques! Il faut donc tout à la fois persister dans nos projets, mais que ces réseaux communautaires, populaires, sachent s’étendre jusqu’aux institutions, et y aillent renverser l’apathie qui y «sévit» (et dont on préfère nous blâmer).
Si l’on observe ce qu’il en est de la question des droits de scolarité, à l’approche d’un sommet qui n’est selon toute vraisemblance qu’une opération péquiste de relations publiques comme celles auxquelles ce parti nous a habitués lors des années 90, nous constatons concrètement qu’il n’y a rien de réglé. Absolument rien.
L’indexation menace, et derrière elle les hausses plus importantes menaceront toujours tant que nous maintiendrons le fonctionnement actuel.
L’assurance-qualité nous promet des universités parfaitement arrimées au marché du travail, donc le plus éloignées possible du sens critique et de tout ce qui puisse faire en sorte que vivre en civilisation ne soit pas fondé que sur l’efficacité au travail.
Le remboursement proportionnel au revenu fait saliver les banques, et fait anticiper au gouvernement un allégement des montants à dédiés aux bourses publiques. Endettez-vous, qu’ils disaient.
Sur le champ de bataille, on a rassemblé face à nous tous les conquérants. Et ils ont un plan concerté.
Néanmoins nous sommes forts des nouveaux réseaux que nous avons su créer en 2012.
Semblerait qu’il soit grand temps de les mobiliser.