Alors je suis de retour en terre d’exil, Montréal la grande visqueuse et puante, où l’air est à peine respirable… mais où il fait si bon choir au beau milieu d’une hétéroclite et certainement discutable réussite… (Tant en ce qui me concerne qu’en ce qui touche mon environnement)
Je vis, je vis, et avec moi, et dans mon esprit, tant et tant de personnages de la littérature passée et à venir. Oui, l’enseignement comme une voie à emprunter pour mieux assumer ma prétention à l’échec d’une vie et ma prétention tout court, oui, la litérature pour pallier à cette sombre destinée, à cet obscur regard sur moi-même, oui, plutôt que vivre, faire vivre ou revivre de grandioses personnages. Et je perçois ceci d’intéressant en cette perspective : rien de tout ça ne me déplait.
Au contraire, une motivation qui se dessinait d’abord à gros traits et lentement se précise : racheter auprès des générations à venir l’espoir que j’aurai perdu par ma propre lâcheté. Et d’ailleurs tu sauras me dire quelles sont tes idées sur le sujet; j’ai de plus en plus l’impression que l’enseignement est une jolie façon de reporter sur ses étudiants, élèves, la volonté que nous-mêmes avions de refondre le monde. Car s’il est une chose que j’aie retenue de tes deux cours, comme de ceux d’autres enseignants, c’est un bouillonnement, une effervescence, une volonté toute renouvelée de prendre part à l’amélioration de lieux, qu’ils fussent communs ou tout personnels. Ce qui, je le précise, n’exclut aucunement de prendre activement part auxdits changements souhaités, et ne saurait pardonner par ailleurs de s’en dispenser…
Mais peut-être suis-je encore trop excité par une vision que j’ai moi-même construite d’un monde meilleur. Peut-être en fait n’y a-t-il rien à changer, mais tout simplement une beauté à perpétuer. Or, je m’attriste à l’idée que cet univers soit fini, et désespère d’entendre que son sort soit d’ores et déjà réglé. Je ne sais dire pourquoi j’aspire à autre chose, peut-être par l’esprit de contradiction si nécessaire à l’évolution, alors qu’elle-même n’est peut-être qu’une bévue de l’âme et du bon sens. Qui sait, après tout?
Peut-être devrais-je tout autrement me concentrer sur moi, mais que suis-je pour mériter tant d’égards, au regard de l’humanité toute entière. Je suis trop futile, trop grain-de-sable-dans-l’univers pour mériter quelque effort que ce soit, et tout à la fois trop de cette même essence, misère, pour avoir une quelconque influence. Me changer moi-même, être moi-même de la nature que je désire pour l’Homme, et me répercuter? Certes, mais en l’absence d’assurance de la répercution, je m’effondre.
Je discutais hier soir avec un collègue de travail des plus désagréables, et qui pour une première fois se montrait dans toute son humanité entre une carte de punch et une montagne de cartons à recycler : aux abords de la cinquantaine, après avoir vécu maintes années dans la solitude la plus totale qui permette néanmoins la survie, il a décidé d’entreprendre des études, littérature, philosophie, non comme une fin mais comme un moyen; moyen de se connaître et d’avancer, serein, jusqu’à la mort. Peut-être est-ce l’unique voie? Mais j’ai bien amplement de temps pour le découvrir.
Du reste, il y a trop de politique, trop d’inacceptable, trop de révoltes ou de révolutions envisageables pour que je me confine à ma petite et vaine existence, alors je persiste et cherche en tout livre, en toute relation, morte ou vive, des armes en vue de me faire chevalier, en vue de ma conquête du Saint Graal, et tel Perceval et tous les autres, je ne sais pas même jusques ici quel il est, cet objet de Malheur. Peut-être l’élément même qui déclanche ma frustration lorsque devant la futilité et la superficialité de certains êtres, je rage de ne pouvoir les convaincre de leur insolente indifférence. Mais qui suis-je pour décider de ce qui doit importer, de ce qui n’est pas futile, si eux-mêmes ont — encore faut-il qu’ils y aient véritablement réfléchi — si eux-mêmes, disions-nous, ont décidé que c’est en de tels questionnements que réside la futilité.
Car il m’appert y avoir sur cette terre trois types d’individus, dont la différienciation n’est peut-être pas purement et simplement théorique…
1. Ceux qui n’entendent rien des questionnements plus profonds
2. Ceux qui perçoivent, mais sans leurs réponses, de questions que je n’ai d’autre choix que de qualifier d’existentielles, malgré mon dédain de la consacration du mot comme d’une ère nécessaire de l’adolescence…
3. Ceux qui ont renoncé à chercher les réponses et, en conséquence, agissent comme les premiers en aveugles, et, souvent, en barbares.
Et j’hésite, j’hésite, à savoir si je dois suivre mon instinct qui me dicte d’en condamner certains. Ma sensibilité n’est pas celle d’autres et inversement. Mais j’ai la certitude qu’il existe différents niveaux d’intelligence, et j’abhore les populistes et démagogues gauchistes qui prétendent que tous ont les mêmes capacités d’entendement. Physiquement, neurologiquement ne sont pas synonymes de psychologiquement et spirituellement, non plus de consciemment.
Je crains m’être emporté et tu m’accuseras encore de tenir un discours pompeux, enflé et ampoulé. Soit. Mais combien honnête.
Tu demandais des nouvelles, et, me relisant, je me dis qu’il n’y en avait peut-être pas… Mais bien des questions à poser à un vieux renard grisonnant.