Mémoire usinée

si tu vivais dans l’ancien temps
tu entrerais dans un monastère
– Guillaume Apollinaire

Rintintin ratisse les machines
Tchekov rue ses espoirs succincts
Sur la ribambelle des lendemains
Et penche, pence la muraille de l’usine

Rigueur éternelle foutaise malotrue
Rédemption profitable déganguée morue
Faut-il fuir, foutue finance
Des marais, cancre et nauséabondance

Les méridiens en exil n’entravent
Aucun des rieurs, beau séjour maladif
En contrée subterfuge malodieuse. Behave!
Et vente, vente l’assensceur fautif

Montons, mentons, méphistophélès est las
Là, morbide industrieux déloyal
Et, fourbu, fixant la splendeur fantassine
Rintintin ratisse les machines

Suant sur son suaire l’ancien sang
Et le monde après lui se suspend.

«Il suffit d’un baiser pour apprendre l’amour»

Ce qu’on en dit des conneries sur l’amour. Ce que ça nous occupe, d’en parler, d’un sentiment qu’on s’est inventé, quelque part au Moyen Âge, pour faire mignon, pour faire valeureux, pour l’honneur. Ce qu’on s’en crée, des raisons de vivre, ce qu’on s’en balance, au fond. C’est qu’on veut mourir quand ça commence,tout comme quand ça se termine, et on souhaiterait l’éternité du moment dès qu’on copule, dès qu’on jouit,dès qu’on est ensemble et qu’on espère. L’amour est un sentiment qui vit d’espoir et meurt du désespoir.L’amour, l’amour c’est comme une fleur, c’est comme… Mais faites-moi rire!

L’amour existe-t-il? Encore? Chante Céline! Nah. Sans blague. Ce qu’on en dit des conneries, sur quelques stupides papillons qui s’excitent quelque part entre le coeur et le bas-ventre, à l’idée d’un peu de tendresse. Et ce qu’on en ferait des bassesses pour ces papillons-là.

Au fond, ce qu’on veut, c’est l’inaccessible toujours recréé. Ce qu’on souhaite, c’est le sexe, et la grandeur du sentiment; qu’on puisse en parler, et même l’analyser de façon rationnelle. Pouvoir dire «je l’aime parce que…», comme si «j’aime» ne suffisait pas. Qu’on puisse en parler, parce que ça nous change de parler du beau temps.

Ce qu’on en dit, des conneries.

Au fait, je vous ai dit que j’avais une copine?

Caulfield

C’est un enfant, qui vole… Allongé, nu, dans un long corridor, un trop long couloir pour sa taille à lui. Nu, ne restant de la vie sur lui que quelque peu d’une chaleur que lui offrent des draps de coton, blancs, il erre. L’espace autour de lui est un tumulte plaintif qui se répercute dans tous les sens, sur toutes les surfaces, et au travers des draps blancs, sur son corps frêle, qui frémit à tout instant. Des pas battent les dalles humides : on n’accourt pas vers lui, on passe. On circule. On effectue des cercles, concentriques, jusqu’à ne plus tourner que sur soi-même : on se questionne : « Saloperie de dossier, où j’ai mis ça? » On s’extériorise.

L’enfant referme délicatement ses ailes, se redépose sur sa civière, bien ancré. Les mains fermées sur les draps blancs, le regard fixé entre le plafond et lui, il écoute. Le temps qui claque; l’odeur qui en ruisselant s’éventre et hurle de douleur. Et les gens. On court. On marche. Plus loin, là, au bout, près de la porte, on meurt. Cela, se fait en silence. Lui ne mourra pas. Pas maintenant. De petites abeilles volent en lui, et parfois, souvent en fait, elles le piquent. Alors il voudrait hurler, mais il n’y a que sa tête qui se recule un peu, et bien que sa gorge soit libre, que l’air circule entre ses dents, il n’y a rien qui sorte. Au mieux, il tousse, légèrement, ou soupire. Alors il s’envole lui aussi. Il n’a pas peur quand il vole, ni mal. Seulement alors il n’écoute plus. C’est comme ça qu’il ne mourra pas.

Voler ne l’épuise pas. Mais chaque atterrissage le fait souffrir davantage. Les abeilles, jalouses, virevoltent, s’emportent, et enfoncent leur dard, leur venin, plus d’une fois dirait-on. Cela, le fatigue.

De tout ce qui s’agite, autour et au-dedans de lui, il comprend si peu. Mais il ressent. Le mal, la vitesse, l’indifférence, l’absence. Le silence lointain du soir, et la pénombre de la douce apocalypse, l’impersonnalité de l’Urgence, l’inhumanité du mal qui l’habite. Ses parents ne viendront pas, ne le réconforteront pas. Ils sont morts.

– Tu sais, dit-il, lorsque je serai grand, je serai médecin. Et un peu pompier aussi, même cuisinier. C’est ainsi qu’il s’adresse au brancard, sous lui, ce vieux sage qui en a vu d’autres. Comme ça je vais pouvoir soigner les gens et éteindre le feu qu’ils ont dedans, avec du pâté chinois.
– …
Sa mère s’est suicidée, quelques années plus tôt, à peu près au moment où une cirrhose emportait son père.
– Maman, tu sais, c’est sa vie qui était malade. Peut-être que les médecins ils peuvent rien faire quand c’est la vie. Papa, c’était sa foi, alors ils auraient pu le soigner mais c’est parce que ça a été trop long avant qu’ils s’en rendent compte.
Le brancard est d’une écoute attentive. Il n’a rien d’autre à faire. Quand les abeilles viennent, ou que l’enfant s’envole, il reste là. Bien en place. Disposé à recevoir la vie, les souffles difficiles. C’est un vieillard songeur, qui cause peu.

Cette nuit, la lutte est féroce. Le brancard grinche. Il supporte une vie mouvementée. L’enfant veut vivre. Dans toute son impuissance, il se débat, affronte des ruches entières, il veut être grand, et ignore qu’il ne le sera jamais. Les enfants comme lui ne vieillissent pas, ils ne peuvent que mourir. L’enfant est atteint d’une fatalité incurable, une souche humaine du plus dangereux virus. Il n’en sait rien. Il ne sait pas combien tous ces combats se répéteront, combien la perpétuité est longue, il ne sait rien de l’éternité d’un espoir qui ne se concrétise jamais. Nu, recroquevillé, chaud, souffrant, hallucinant son envol sur une plage de galets rouges, le cœur pendant, avec ses entrailles qui se dispersent et frottent contre chaque imperfection du monde. Il a mal. Il sait qu’il a mal. Chaque pierre du sol pénètre une partie de sa vie, s’incruste, fait gicler le sang. Il se tord, se broie; des nuées rougeâtres ruissellent sur le sol.

Les draps se flétrissent, le sang et le pus se répandent, caillent, tout est taché de la guerre d’espoir. Sur le front un enfant, quelques abeilles, et une vie qui fuit, qui fuit rouge partout, sur les dalles sèches, les carreaux chlorés et les bocaux de cotons-tiges. La nuit éclate en sanglots, pleure des larmes noires sur le regard d’un enfant qui veut vivre, et l’ensevelit. Il pleure, lui aussi. Pleure de rage, d’être, mais si peu, d’être et de n’être plus, d’être et de ne jamais savoir, ne jamais saisir, se saisir de soi. Le ressentiment qu’on vit de ne jamais savoir, qu’il mourra quand même, qu’on meurt tous un peu trop vite.

Bientôt sa chute est irrémédiable. Le sol, le sol! Une abeille. Elle le porte. Il s’abandonne, las. Qu’il est doux, l’air sur sa peau! Il ne veut pas sentir le mal. Que la beauté. Que la fermeté de son appui. Et bientôt, d’autres abeilles, et des bourdons, et des guêpes, quelques mouches, et encore un papillon, le portent, l’entraînent. Lui, éviscéré, rongé, porté par son mal, porté par ses assaillants, et au travers d’eux un peu de beauté, il se laisse flotter. Il ne ressent plus de douleur.

Il est mort, l’enfant.

S’en va retrouver ses parents, morts bien avant lui, qui l’emmènent fêter l’âge de raison.

La nature morte

Je connais bien peu à la peinture. «Rien», serait plus juste. C’est peut-être pour cela que j’ai de la nature morte une image plutôt terne. Plutôt en teintes de gris, plutôt en formes floues, plutôt en urnes de terre brune et en fruits déconfits. C’est peut-être pour ça que j’exècre les pots de fleurs et les prunes empilées. Ça me donne toujours l’impression de manquer d’imagination, avec un arrière-goût d’inachevé.

De la même façon, j’ai connu jusqu’ici, tout au long (mais bien court) de mon parcours scolaire et personnel, de nombreux enseignants qui avec mes parents m’ont transmis le goût de la réflexion, de l’écriture, de la musique, de la et du politique, de la communication, de la littérature, de la langue française, et avec tout cela ou en découlant, le goût du savoir.

Mais de par leur attitude, mais de par leurs réalisations, bien peu ont suscité chez moi la poursuite d’objectifs. Apprenant de leur exemple, je n’ai jusqu’ici rien fait. Combien d’esprits lucide n’ont jamais eu le culot de gouverner? Combien d’adroites plumes n’ont jamais publié? Combien d’orateurs magnifiques n’ont jamais pris parole? Combien de voix mélodiques se sont tues? Combien d’idéalistes ont refusé leur philosophie au monde entier? Combien de voyants ont éteint sur leurs visions les projecteurs? Combien de pinceaux éclatés se sont vite rangés dans de bien sombres habits? Combien d’idéateurs ludiques se sont contentés du cynisme ambiant? Combien de stupides policiers ont joint les rangs des forces de l’ordre (ça, oui, un, et heureusement d’ailleurs!) Combien d’acteurs justes ont appris leur rôle de père, de mère, d’enseignant, jugeant du bien-fondé de leur sage décision par l’idée unique que la communication de leurs passions à des jeunes était bien plus valable que la pleine réalisation de leurs capacités?

Et moi, Scott Towel, Spongi Towel de la petite rhétorique d’école de campagne, j’ai tout imbibé, jusqu’à vouloir devenir comme eux, enseignant. Mais l’enseignant-raté, qui depuis la grèce antique, qui depuis l’école mésopotamienne, veut influencer à son tour la jeunesse, pour lui ouvrir les yeux et l’esprit sur le monde, sans jamais oser le faire lui-même, a-t-il sa place auprès des jeunes?

Peut-on espérer quelque chose de bon d’un enseignement théorique? Fut-il bon de faire profiter la jeunesse d’un savoir, d’une connaissance, d’une passion, s’il n’y a plus de l’aspiration que la part liée à la transmission d’un tout abstrait concept, alors qu’apprend-on à notre jeunesse? On lui apprend l’Être, le Paraître et la répercussion de (notre) petite envergure. Avec un enseignement formé d’espoir de transmission, ne formerons-nous que des enseignants?

L’enseignant marquant, le grandiose, l’enseignant-dont-on-se-souviendra n’est-il pas celui qui pousse plus avant ses réalisations? Qui, loin de se contenter de marquer de petites considérations extra-temporelles une ou des générations, s’inscrit dans son ère, et rédige à tout moment l’histoire de l’évolution humaine?

J’en ai contre le caractère mars plastic du corps enseignant, qui s’est dévoué pour faire de mon expérience scolaire un moment agréable, en s’effaçant lui-même. En me montrant l’exemple de celui qui agit à petite échelle, espérant me faire agir à grande échelle, en se disant qu’en semant des graines il obtiendrait une plante. Mais à l’échéance, j’ai bien peur que le haricot ne produise que d’autres haricots. Et il faudra bien un jour un haricot noir, un cancer horticole… On espère trop de mutations génétiques chez les enseignants.

Je veux être l’enseignant-haricot qui fera pousser un bananier. Faut-il alors que je me fasse avocat (du diable?) et que, moutarde, je me monte au nez, que pomme, je me tombe sur la tête et que raisin, je me vinifie?

Pour que la saison du haricot soit fructueuse, il faudrait bien d’abord que je me plante, que je pousse, que je bourgeonne, et que je regarde plus loin que le bout de mes feuilles. Il y a là tout un jardin auquel je touche, par mes racines et par les tiges, tout un ciel où monter en graines et toute une terre à enrichir.

Alors, seulement alors, mars plastique n’aura pas eu tort. Je suppose qu’il faut parfois effacer quelques mauvais traits pour qu’un coup de crayon donne vie à la nature morte.*

D’accord. Prenons courage, mais surtout prenons engagement. J’ai vingt ans, le quart ou le cinquième d’une vie — c’est déjà plus long que la vie d’un haricot, et encore plus que celle d’une gomme à effacer, surtout dans le coffre du castor-mangeur-de-gomme-pour-vrai que je suis — et encore du temps, mais pas tant, pour être. Alors au pinceau, maestro, et chante ta pseudo-lucidité avant l’alzheim’ère.

* Comme ce texte aurait lui-même mérité quelques attentats revendiqués par Staedler.

Peuple

Résonance magnétique
Qui court à l’abandon public
Dans une sphère de plastique
Peuplée de bourgeois frénétiques
Boursouflés d’avantages chroniques
Qui prêchent la parole biblique
Combattant les reflux gastriques
Empoignant le long fer épique
Dénudent les mannes étatiques
Du bon sens de la république
En dépouillant leurs voix obliques
Sur la douceur érotique
De leur poche pleine de fric
Qui gicle, catastrophique
Asphyxiant la pensée critique
Pensionnaire philosophique
D’un orgueil psychotique
Oh! La douce musique
Le renouveau pédagogique
Les cerveaux dans l’acide sulfurique
La jeunesse électronique
La conscience, espoir tragique
Elle s’agite, hérétique!
Rapidité clinique :
Qui est dysphasique?
Choc! Choc! Choc électrique!
Du plomb dans l’aile psychiatrique
On a percé la barrique
Analgésique
Scandale écologique
Sous un ciel hermétique
Les esprits monarchiques
S’échauffent, climatiques
L’air tragique
Pas de panique!
La boulê médiatique
En mer cacophonique
Noie le dauphin dynamique
Longue nage ludique,
La solution basique !
Eureka! Pour la physique!
Et la gestion cyclique
Du roi, de sa clique
Ils scandent la logique
En termes dramatiques
Et l’ecclésiastique
En huis clos fornique
Sur la douceur rythmique
De nos plaies fantastiques
Opposant à nos briques
La foi, l’as de pique
Jésus l’orthopédique
Sur la sphère boulimique
D’Eurasie en Afrique
Jusqu’à la Manic’
Flux de pensée magique
En stéréophonique
On se nique.