Sur ça va aller, de Catherine Mavrikakis, temple dédié à la beauté de la honte nationale.
«Si la religion est l’opium du peuple, l’enfance est l’héroïne de l’individu. Ride the dragon, then let it die alone.»
Québec! Québec ma muse morte. Québec avec son gros cul, avec ses bottes sales de bûcheron agoraphobe. Ah! Québec de Valcourt et de Sainte-Sophie. Québec qui meurt, dit-elle, l’auteure, avec un «e» parce que, dit-elle, elle, la femme de lettres, que le Québec est si doux, si mou, qu’il met des «e» pour féminiser, pour attendrir, pour égaliser, pour niveler. Québec qui est mort, et enterré sous terre, pour n’être jamais plus grand, jamais plus beau, jamais plus. Québec qui ne grandira pas, Québec qui souffre d’un retard de vieillissement, et dont les cellules, individus profanes et cloîtrés ne font, elles, que vieillir. Québec qui se compare et se désole, Québec qui contredit ses propres adages. Québec invisible, inconsolable. Québec qui voit tous ces pays. Tous ces pays qui lui échappent. Tous ces Grand-Pères pays, toutes ces Ancêtres-Nations, toutes ces reluisantes et visqueuses aspirations.
Que sont tous ces pays, aboutis, physiquement mature?
Que sont la France, hésitante entre ses six côtés, la suisse, tout naturellement au beau neutre, l’Angleterre, magnifique empire sur lequel le soleil ne se lève jamais, and God Save The Queen! Mais puisqu’à certains, l’Europe pue au nez, qu’est donc le Japon, muet, docile, travaillant; que sont donc les zétas zunis, force active pour le bien dans le monde (!), et puis, pourquoi pas, qu’est l’Argentine …que se vayan todos … depuis qu’il n’y a plus de quoi vivre…
Atteint un objectif, atteinte une victoire, une finalité, et sur un point de chute. Quoi encore? Expansion territoriale? Économique? Oui! Oui, jusqu’à ce que l’explosion, jusqu’à ce que la solitude, jusqu’à ce que plus soif? Oui, oui, rien contre.
Mais encore. On construisait des pays, de beaux, d’immenses magnifiques et grandioses pays pour l’autarcie, pour le pouvoir d’achat, pour le confort, pour, enfin, pour… le confort, il sert à … non! Tout mais pas ça!! Non, non, non, non… disposer de temps pour évoluer, en tant qu’espèce, en tant qu’être vivant, membre d’une communauté, peut-être, oui, peut-être, comme le disait Jacquard, pour aller à la rencontre de l’autre? Et vive la mondialisation, maintenant.
Mais dites-moi, madame Mavrikakis, quelle est donc cette ambition dont votre personnage veut tant? De la destruction, de la grande morsure quotidienne. Soit. Pour reconstruire, faire plus beau, dire mieux, vivre plus doucement, s’attendrir et mourir? Pas même. Pour, alors, le spectacle? La futilité du spectacle et la beauté de l’acceptation du vide… Et la dignité de la mort dans la connaissance…
De tels personnages existent, de telles personnes vivent, elles déambulent rue De Lorimier, Mont-Royal, Darlington, Ste-Catherine, Dorchester, Notre-Dame, Broadway, 5th avenue, des Champs Élysées, ou, oui, ou… où, où encore?
Mais lucides. Mais conscientes. Mais, bien au fait d’être en ce monde intolérable d’inutilité, de mensonge, de cynisme, de dérision. Prévenues, de n’avoir probablement rien derrière et certainement rien devant. Et lucides. Et conscientes. Personnes conscientes que le monde dans lequel nous vivons est une vrille interminable, qui nous soûle si l’on y est et nous rebute si l’on n’y est pas. Et qu’il valait peut-être mieux y être, nauséeux, mais ne jamais rien connaître du dégoût.
Et je ne sais plus qu’en dire, qu’en penser. De ces gens, de votre personnage, de votre livre. Car au-delà de ce que je ne sais saisir, il y a peut-être la projection que je fais. Il y a peut-être l’inclusion fautive, et la simple existence de ce mémo relève sans doute de l’erreur fondamentale. Je ne sais plus trop. Je ne me souviens plus.
Ce que je tenais à vous dire, c’est que j’ai détesté votre livre. Au point de me dépêcher de le finir pour avec un peu de chance ne plus jamais y revenir. Et que je l’ai aimé. Au point de le détester.
Au fait : «Lou n’est qu’avenir», p. 131. Bravo! Bravissimo! Brava Catherine Mevrikakis! Quelle blague! Voir dans l’enfance l’avenir du monde. Voir dans la progéniture le futur de l’humanité. Depuis Freud? Depuis Sparte? Depuis Ève? Depuis le grand jardin? Depuis toujours et pour les siècles des siècles. Amen. Si la religion est l’opium du peuple, l’enfance est l’héroïne de l’individu. Ride the dragon, then let it die alone.
Québec, québec ma muse morte? québec ti-q, québec ti-gus, ti-coq, québec ma muse bien vivante, québec mon reste de rien, ma bouillie, mes asperges en can et mon pâté chinois, québec incolore et suave, québec mon anatomie, québec, certes pas ma tête ni mon cœur, ni mes entrailles ni mes fils, québec de rien du tout, terre natale et puis fatale.
Québec, Québec partout parce que comme tout le monde, comme toute la mappemonde, avec sa tête de chien, comme une part de la petite famille, sale cabot, mais familial, et sous les érables, s’en va pisser contre un tronc, parce que Québec laisse sa trace, comme tout le monde, parce que Québec pisse et s’éviscère un jour, comme tout le monde, parce que Québec, moi, vous, n’importe qui, n’importe où, et n’importe quand, comme tout le monde, parce qu’en s’excusant, parce qu’en scandant «Hey! Speak White!», parce qu’en maugréant «C’est toi qui part, ou moi je te quitte», parce qu’en fredonnant que «sur les plaines d’abraham, l’armée trinquait à l’eau de vie», parce qu’en ruisselant sur «mon St-Laurent, si grand, si grand», parce qu’en s’ennuyant, à La Manic ou à Gaspé, assis sur l’bord d’notre trou, à se creuser la tête, parce qu’en ne tuant pas cette beauté du monde, alors, peut-être, oui, peut-être bien qu’on erre, mais c’est tout de même un peu vivre. C’est tout de même, encore, un peu, exister, soi-même, sans reporter sur l’enfance les espoirs de grandeur.
Né pour un petit pain, soit. C’est encore mieux que de mourir sans Comprendre.