L’inconnue de la radio

Ça y est, je ne comprends plus. La terreur qui se déchaîne, et les monts qui, eux, s’enchaînent. La misère humaine, la nature qui foudroie tout, tout, et l’humain qui tente de l’imiter dans le meilleur comme dans le pire.

Il n’est plus que question de temps avant que toutes les tours s’écroulent. Et j’ai envie de scander «soyons humbles, ne soyons pas vains, soyons raisonnables et pas craints»…

… « Il me semble, je veux dire, j’ai espoir d’un monde où le capitalisme serait pas là, où la relation aux objets seraient différentes, où on voudrait moins posséder», qu’elle disait à la radio, ce matin, quand je me suis réveillé, l’inconnue, d’une voix emportée, d’une voix chevrotante, d’une voix empreinte d’impatience, et de douleur, aussi.

Et j’entends d’ici la paternalité s’écrier : «crisse de folle, encore une autre qui vit dans un monde à part. Ça marche de même, dans la vie: si t’as pas d’argent tu vas nulle part»

Et j’aurais beau m’objecter, dire que, non, attends, on recommence, on part du début. OUBLIE l’argent. Je m’entends être rabroué.

– ben ça marche pas de même.»
– Ben crisse. C’est intolérable.
– si t’es pas capable de le tolérer, pourquoi tu vas pas jusqu’au bout, quitte-le ce monde là, dit-il, probablement davantage pour me provoquer. J’espère.
– J’ai essayé. Pis c’est dommage, mais je suis encore de ce monde-ci. Alors ce que j’essaie, maintenant, c’est de me dire que si c’est ainsi, peut-être il y a une raison.

J’essaie. Mais merde! Quand la nature se mêle de tout écrouler ce que l’homme avait la décence de laisser tenir debout…

Je n’y comprends plus rien. J’ai mal.

De la vérité du suicide.

Toute mort est collective.

Un jour où je l’ai suicidé, de verte pâture, étrange rupture, j’ai omis de vendre mes louanges à la plèbe. J’ai senti le refrain envoûtant des prairies, et pour mieux paître, je l’ai lancée à retardement sur la place publique. Ensevelissant mes aïeux de pleures naturelles, j’ai, moi, renoncé. Geste fait. J’y ai mis tout mon espoir, toute ma sotte gloire pré-moderne. Le temps d’un sourire, d’une musique douce et populaire, je l’ai suicidée, cette vie immonde et glorieuse.

Cet étrange et biscornu Être bicéphale, je l’ai troué de la flèche du devoir. Nul ne saurait me contredire. Car nul ne sait. Car nul ne fuit jamais la ludique envie de fléchir, de ruiner les décorums, car on y participe, car on participe de la connerie collective. Mais enfin, pas avant de les suicider. Je suis parricide, traître, félon, coupable d’hérésie. Une section de ma foi s’est ennuyée, d’elle-même, du temps foetus où l’air est pur, où l’air est visqueux de sincérité.

Et désormais appuyé sur l’autre, sur la tête voisine, le coeur transmis par voies anales, par voix phallusiennes, par voies régurgitatrices, par larmoiements et par sueur, le coeur transmis, dis-je, j’ai expié sa vie, à lui, l’être qui devait en avoir terminé de se leurrer devant l’histoire et la plaie béante de l’humanité. J’ai coupé son cordon comme une corde par laquelle il s’asphyxiait. Je l’ai retenu, plutôt qu’il ne tombe, je l’ai glissé sous des draps d’un confort oblique, je l’ai transmué en dérisoire bouquet mortuaire. Il faut bien se décorer d’une plume, si le pigeon nous chie continuellement sur la tête, ce n’est pas par chance, mais parce qu’on occupe son territoire, dès lors, se convertir, s’armer des ailes d’Icare et rejoindre le soleil, pour mieux brûler, pour mieux, ensuite — et enfin — s’éteindre en un souffle rationnel, en une obscure étincelle, dernière lueur de l’être maudit.

Et l’explosion ne survint jamais.

Je l’ai suicidé parce qu’il tanguait, et qu’on n’accepte pas de chavirer. Je l’ai suicidé parce que l’obstacle de la course, trop de fois recommencée, s’élevait devant moi sans cesse comme le haricot jusques aux cieux, et que trop lourd, trop lourd, trop lourd. Et que d’un poids inacceptable, je ne me ruais pas vers Lui, je me ruais toujours vers moi, tombant, puis mon crachat sur moi, car si je voulais monter c’était pour Lui régurgiter dessus Ses affres et Ses espoirs, semés à tout vent, offerts à toute chair.

Je l’ai suicidé pour ne pas qu’il s’intériorise, pour ne pas qu’il s’aime, pour ne pas qu’il, de coeur délaissé — rappelons-nous comme il l’avait transmis — pour ne pas qu’il ne sache plus que faire que de s’aimer au travers d’une transmission inverse, digne retour à son espace vital, pour ne pas qu’il se fasse attente éternelle devant l’obscur égoïsme. Voilà, je l’ai suicidé pour que moi je vive, et m’aime par moi-même, et seul, peut-être, mais aimé, de moi du moins, de moi strictement et exclusivement, de moi aimé, admiré, adoré, et sans attente de l’autre entité céphalique, ni des autres, ni de Lui.

Taureau

Et de la Chair féconde ou non, et de la chair, dodue, visqueuse, de la Chair douloureuse, entrecoupée, striée, que l’on voit puer, et que l’on sent s’ouvrir, de la Chair, je me suis séparé. De la chair du monde, de l’autre, et d’elle, aussi, sans doute, de sa chair connue. Tout ça terminé, tout ça éteint, comme un faisceau qui disparaît d’envie de croître, qui disparaît comme la grenouille qui éclate, et du bœuf qui renaît. Oui, quand la grenouille éclate, le bœuf existe davantage, et, Taureau, et, Cornu, et, Lourd de son physique et de son âme obsolète, pourtant nouvelle, laboure le sol à pieds joints, quatre par quatre, véhicule terrestre, mais rotoculteur, sonde, mais aiguille lancinant à la tension de l’épiderme. Croûte. Obstacle infranchissable. Taureau.

On ne transperce pas un taureau. On le perce. On ne transperce pas un suicidé qui renaît, on le perce, il se referme. Je l’ai suicidé, qu’il renaisse Taureau et mérite la majuscule autant que Lui, mort en même temps que lui. Tous deux morts, le corps de l’éphèbe dans ses draps obliques, et le Dieu dont il était l’apôtre : lui en bas et Lui en haut, séparés d’un haricot immense.

Ne reste que moi. Période de gestation longue. Cordon d’une longueur de haricot. Et je ne me détacherai de l’utérus fatal que lorsque j’y accrocherai une goutte de moi et que je pourrai m’aimer, à sa suite, à travers lui ou elle, nouveau, qu’à travers l’enfant et la mère.

Je ne naîtrai plus avant la procréation, car la création originale est morte, un soir de novembre, sur une musique populaire entraînante.

D’autre part, et si la question vous tourmente, oui, je crains que ce ne soit par erreur qu’il ressuscite, un soir de perdition, un soir de vengeance inconsciente, un soir où dans le corps d’une femme, à demi-conscients, je revivrai, et c’est sans doute le seul moyen; ou alors qu’il soit à jamais mort. Car il faut pour l’enfant aimer la mère. Et je sais que je n’aime plus que moi, à contre sens et modestement.

Mais je n’attends plus.
Trop longtemps j’ai vécu de ce confus espoir
De quitter, à deux, avec une, le solide, le noir
Bougie
Qui d’elle-même, consumée, s’éteint
Sur trame de pop-beat nauséeux

Et vomira demain son existence.

Mieux vaut s’armer d’amour-propre, Taureau.

Correspondances à Renard.

Alors je suis de retour en terre d’exil, Montréal la grande visqueuse et puante, où l’air est à peine respirable… mais où il fait si bon choir au beau milieu d’une hétéroclite et certainement discutable réussite… (Tant en ce qui me concerne qu’en ce qui touche mon environnement)

Je vis, je vis, et avec moi, et dans mon esprit, tant et tant de personnages de la littérature passée et à venir. Oui, l’enseignement comme une voie à emprunter pour mieux assumer ma prétention à l’échec d’une vie et ma prétention tout court, oui, la litérature pour pallier à cette sombre destinée, à cet obscur regard sur moi-même, oui, plutôt que vivre, faire vivre ou revivre de grandioses personnages. Et je perçois ceci d’intéressant en cette perspective : rien de tout ça ne me déplait.

Au contraire, une motivation qui se dessinait d’abord à gros traits et lentement se précise : racheter auprès des générations à venir l’espoir que j’aurai perdu par ma propre lâcheté. Et d’ailleurs tu sauras me dire quelles sont tes idées sur le sujet; j’ai de plus en plus l’impression que l’enseignement est une jolie façon de reporter sur ses étudiants, élèves, la volonté que nous-mêmes avions de refondre le monde. Car s’il est une chose que j’aie retenue de tes deux cours, comme de ceux d’autres enseignants, c’est un bouillonnement, une effervescence, une volonté toute renouvelée de prendre part à l’amélioration de lieux, qu’ils fussent communs ou tout personnels. Ce qui, je le précise, n’exclut aucunement de prendre activement part auxdits changements souhaités, et ne saurait pardonner par ailleurs de s’en dispenser…

Mais peut-être suis-je encore trop excité par une vision que j’ai moi-même construite d’un monde meilleur. Peut-être en fait n’y a-t-il rien à changer, mais tout simplement une beauté à perpétuer. Or, je m’attriste à l’idée que cet univers soit fini, et désespère d’entendre que son sort soit d’ores et déjà réglé. Je ne sais dire pourquoi j’aspire à autre chose, peut-être par l’esprit de contradiction si nécessaire à l’évolution, alors qu’elle-même n’est peut-être qu’une bévue de l’âme et du bon sens. Qui sait, après tout?

Peut-être devrais-je tout autrement me concentrer sur moi, mais que suis-je pour mériter tant d’égards, au regard de l’humanité toute entière. Je suis trop futile, trop grain-de-sable-dans-l’univers pour mériter quelque effort que ce soit, et tout à la fois trop de cette même essence, misère, pour avoir une quelconque influence. Me changer moi-même, être moi-même de la nature que je désire pour l’Homme, et me répercuter? Certes, mais en l’absence d’assurance de la répercution, je m’effondre.

Je discutais hier soir avec un collègue de travail des plus désagréables, et qui pour une première fois se montrait dans toute son humanité entre une carte de punch et une montagne de cartons à recycler : aux abords de la cinquantaine, après avoir vécu maintes années dans la solitude la plus totale qui permette néanmoins la survie, il a décidé d’entreprendre des études, littérature, philosophie, non comme une fin mais comme un moyen; moyen de se connaître et d’avancer, serein, jusqu’à la mort. Peut-être est-ce l’unique voie? Mais j’ai bien amplement de temps pour le découvrir.

Du reste, il y a trop de politique, trop d’inacceptable, trop de révoltes ou de révolutions envisageables pour que je me confine à ma petite et vaine existence, alors je persiste et cherche en tout livre, en toute relation, morte ou vive, des armes en vue de me faire chevalier, en vue de ma conquête du Saint Graal, et tel Perceval et tous les autres, je ne sais pas même jusques ici quel il est, cet objet de Malheur. Peut-être l’élément même qui déclanche ma frustration lorsque devant la futilité et la superficialité de certains êtres, je rage de ne pouvoir les convaincre de leur insolente indifférence. Mais qui suis-je pour décider de ce qui doit importer, de ce qui n’est pas futile, si eux-mêmes ont — encore faut-il qu’ils y aient véritablement réfléchi — si eux-mêmes, disions-nous, ont décidé que c’est en de tels questionnements que réside la futilité.

Car il m’appert y avoir sur cette terre trois types d’individus, dont la différienciation n’est peut-être pas purement et simplement théorique…

1. Ceux qui n’entendent rien des questionnements plus profonds
2. Ceux qui perçoivent, mais sans leurs réponses, de questions que je n’ai d’autre choix que de qualifier d’existentielles, malgré mon dédain de la consacration du mot comme d’une ère nécessaire de l’adolescence…
3. Ceux qui ont renoncé à chercher les réponses et, en conséquence, agissent comme les premiers en aveugles, et, souvent, en barbares.

Et j’hésite, j’hésite, à savoir si je dois suivre mon instinct qui me dicte d’en condamner certains. Ma sensibilité n’est pas celle d’autres et inversement. Mais j’ai la certitude qu’il existe différents niveaux d’intelligence, et j’abhore les populistes et démagogues gauchistes qui prétendent que tous ont les mêmes capacités d’entendement. Physiquement, neurologiquement ne sont pas synonymes de psychologiquement et spirituellement, non plus de consciemment.

Je crains m’être emporté et tu m’accuseras encore de tenir un discours pompeux, enflé et ampoulé. Soit. Mais combien honnête.

Tu demandais des nouvelles, et, me relisant, je me dis qu’il n’y en avait peut-être pas… Mais bien des questions à poser à un vieux renard grisonnant.

Smog sur ma vie

(titre emprunté, je crois. Google ne recense aucun article. Google n’est pas omniscient.)

Chaleur. Chaleur insupportable et suffocante. Pas tant la chaleur de la ville que celle de son corps contre le mien. Mais encore, pas la chaleur comme l’énergie calorique s’en dégageant, et par les voies de la conduction se transmettant d’elle à moi. Bien davantage son amour énergique. Suffocant.

Car persiste comme en tout épisode de chaleur intense, un smog entre nous. Un smog sur ma vie. La perte de la jouissance de l’air qui circule aisément, et du ciel métallique. Métalliquement bleu. Le bleu se recrée aux hasards des aurores, même sous le smog. Le métal, lui, dépoli, tinte, clochette vide aux abords de ma vie, des sons stridents. Des sons qui exhortent la fuite de fuir. Des sons qui renoncent au renoncement. Même dans l’action, on renonce. On désarçonne.

Persiste donc un smog entre nous. Une poussiéreuse vertu.

Et j’oublie, tout en oubliant d’avoir mal. Mais c’est beaucoup plus facile de dire que vous omettez d’enfoncer en moi tous pieux qui me blesseraient.

je me fais critique.

Honteuse introspection parce que nombriliste, je me fais critique.

Les algues poussent à l’envers, parce que je suis bien — mais pour combien de temps; une semaine, encore, demandait celui-ci..?.. Parce que le confort en est un des plus vides, parce que je me sens bien dans rien, et non pas je «NE» me sens bien dans rien. L’absolu inexistant ne me déplait même pas. Et, et au fond, j’aimerais peut-être qu’il me fasse encore souffrir. Mais inventons donc une vie.

The beautiful lies, « les beaux mensonges » ou alors « la beauté ment » — merci, toi — ne seront que plus vraisemblablement faux.

JP

En bouteille (de verre.)

Je suis une mouche
Vulgaire volatile
Quelques ailes fragiles
Au coin d’une bouche

Puis j’ai trouvé ma fenêtre, pas idée comment je vais me la pêter, la tête, à reculons, avançons, tourbillon, à tâtons et à perdre la raison, j’ai trouvé ma fenêtre et je vais m’y cogner, m’y sabler, m’y sabrer si elle se casse, je vais m’égosiller les ailes, rien de moins, je vais m’y pendre à toutes les toiles, m’en fiche, c’est ma fenêtre. Et vivement que j’y laisse ma tête.