Un an

J’ai rencontré une fille dans un parté un jour. J’habitais à l’époque un magnifique immeuble dans le village De Lorimier, et mes voisines dont j’étais très proche organisaient fréquemment des concerts dans leur salon. Ils y invitaient toutes sortes de musiciens, et l’ambiance intime des lieux faisait de chacune de ces soirées un moment exceptionnellement plaisant. On pouvait passer d’une fois à l’autre du sentiment d’être dans une chapelle de monastère à celui d’être dans un parté concentré congelé sans sucre ajouté.

C’était du second ordre, quand j’ai discuté avec cette fille la première fois. Elle était drôle, intense, avec une étrange odeur de fleur, qui me faisait croire que malgré sa vivacité désinvolte, elle devait avoir quelque chose d’insupportablement mièvre.

On s’est recroisés dans un vrai parté, pour la Saint-Jean-Baptiste; elle invitait une amie pour me la présenter, parce qu’il fallait bien que je sorte de ma torpeur célibataire. Pas trop aimé l’amie, à l’époque.

Un certain dimanche, elle avait un examen de français à l’Université, et nous nous étions proposé de déjeuner ensuite, juste parce qu’il fallait bien fêter la fin de session, et que l’idée de déjeuner dans un bar nous enchantait – on avait échangé à ce sujet sur un statut Facebook, avec des amis communs qui se joindraient peut-être à nous.

On a bu quelques mimosas, en sorte qu’on a quitté l’endroit quand les gens habillés pour l’apéro ont commencé à dévisager notre air de sortir du lit. C’était auxiliairement l’anniversaire d’une de mes voisines, et nous étions bien entendu tous les deux invités à célébrer la chose sur De Lorimier.

Les choses en ces circonstances ont suivi leur cours normal, et rien n’est à signaler que l’interruption brutale d’un premier coït par la célébrée à la recherche de son quart de coke.

Le lendemain, nous passions une soirée au Musée des Beaux Arts dans une soirée privée. Champagne gratuit, discussions profondes, puis superficielles, puis plus de discussions du tout. Ce soir-là, j’ai croisé Michel Rabagliati. Je me demande depuis longtemps s’il a vu de sa vie bien d’autres gens que nous s’accoter sur un Rodin dans une soirée mondaine pour… oublier qu’ils étaient dans une soirée mondaines et accotés sur un Rodin.

Le surlendemain, puis la semaine suivante, et pendant quelques mois…

Un jour, j’ai essayé de tout arrêter. Il faisait trop chaud pour ce mois de janvier. Le soir-même, je remontais sur le pont par une échelle de corde. Une banquise et un iceberg, n’est-ce pas similaire?

Puis il y eût une certaine grève. Mon travail auprès d’une association de cycles supérieurs devait m’imposer de passer des nuits à rédiger des ententes avec les professeurs du département quant à l’application effective de ce retrait concerté des activités académiques.

On me reprocha les cernes qui se creusaient sur mon visage. Puis il y eut des occasions d’«agir directement». Nous nous levions tous les matins, la rage au cœur, le regard flou, la détermination, pourtant, de nous enfiler les hoodies noirs et les bottes de marche. Nous marchions dans le soleil puis dans le froid glacial, dans la noirceur du matin avant que je me rende au travail chez un diffuseur où je syntonisais sur les téléviseurs les chaînes d’information en continu en espérant que nous pourrions nous retrouver sans peine le soir pour marcher encore, écrire et nous révolter sans graves conséquences.

Les gestes posés gagnaient en importance, ainsi que nos réputations respectives d’influence et d’action. Nos jours s’accordaient entre la fuite des agents de la fausse paix, les menaces des directeurs de cette institution médiatique distinguée où mes prises de position commençaient à avoir mauvais écho, le respect des feux de circulation des rues quasi-piétonnières, le soir venu, alors que les gyrophares nous «reconduisaient» quotidiennement jusqu’à la porte.

Nous fomentions des coups d’avenir dans le vin avant d’aller dormir du sommeil du juste terrorisé par l’éventualité des coups sur la porte à cinq heures du matin. Les justes ne dorment certainement pas mieux que les crosseurs.

Une sorte d’accalmie est survenue brièvement, entre les boîtes et la peinture d’un espace commun où la révolte pourrait emménager. Puis nous avons pleuré les résultats d’une certaine élection qui devait rendormir tout le monde. Le réveil serait brutal pour bon nombre, en sorte que nous entreprîmes de les aider à se nourrir, et à poursuivre la juste lutte.

Les cours et la rédaction étaient bien derrière nous, alors que nous tâchions de faire en sorte que ceux qui le voulaient puissent les avoir devant eux. Malgré notre épuisement, nous cumulions les longues heures de travail, pour rassembler les espoirs et quelques vivres. Je retournais encore quotidiennement travailler à valoriser les images qui bougent, alors que quelque chose était cassé. La fille s’entourait de gens aux espoirs aussi brisés qu’elle, qui devaient la réconforter, qui la comprenaient. Qui ne vendaient pas leur âme à la boîte à images.

Je serais le support quotidien, la raison et la cause par lesquelles on agit. Je serais l’allié de toute une vie, mais l’ennemi du quotidien. Je serais l’agent émancipateur, duquel on s’émanciperait. J’ai erré de déception en colère en blessure; tout cela n’était pas mon exacte acception du mot liberté.

J’ai toujours cru que qu’une relation honnête ne pouvait être mensongère au point de laisser croire qu’une seule personne puisse remplir toutes les sphères d’une autre vie, qu’il fallait à un couple l’espace pour aimer également ce qu’il n’est pas.

Je n’en étais pas moins habité du sentiment de n’être plus rien.

Les encouragements devenaient difficiles. L’intimité devenait lourde, triste, au point de n’exister plus qu’en dehors les murs où la révolte prenait son plein sens. Je me suis retiré de mon emploi : j’existerais dans la création et l’analyse, enfin.

Cela fit grand émoi; comment subsisterions-nous? Je promis de subvenir. Paradoxalement, je n’eus dès lors plus grand autre rôle. Une dépression fut diagnostiquée, qui devait conforter tout le monde dans ce nouveau rôle qui m’était imparti.

Les jours s’accumulaient, de pleurs, de craintes, d’angoisses. Nos couvertures étaient constamment habitées d’un chagrin sans motif précis. Puis d’un soudain regain de vie, qui devenait ma seule espérance au-travers des jours à nouveau froids. Ces jours-là, la fête, les Rodin, les rouges, les blancs, les bulles, les limettes se multipliaient, échouaient sur les planchers en même temps que nous, que nos invités parfois, les portes qu’on oubliait de verrouiller battaient sous la brise hivernale, dans la lumière chaleureuse de la révolte incongrue qui resurgissait, les confettis, les rires, les orgasmes volaient et éclataient le morne mois de janvier.

Jusqu’au lendemain où la douleur revenait, lancinante, diagnostiquée à nouveau, plus grande, plus vive, plus intégrale. Nous avons vu les Hôtels de différentes confessions. Nous avons pris des limousines hurlantes et jaunes. Nous avons compté les cachets d’espoir. Ils manquaient toujours en trop grand nombre. Je me tenais presque droit, quoique essoufflé, engourdi.

Je prenais congé parfois pour exister un peu encore. Une fois, je me suis cassé une cheville. Je suis revenu à la maison si heureux que je ne compris pas grand chose à la colère qui me faisait face. Je n’en voulais rien comprendre. Je suis parti en claudiquant. J’ai fait une guérison partielle en rénovant un espace où la révolte n’aurait plus droit de cité.

Je viens d’y emménager.

Je ne me révolte plus, et je suis devenu ami avec ce buste de Rodin qui trône au Musée des Beaux arts. Il m’effraie, et j’oublie souvent de dormir la nuit en le contemplant, coulé dans le bronze.

3 réflexions sur « Un an »

  1. Il y a quelques deux ans presque et demie,
    Bon, il y a eu cette première fois, elle m’échappe, je devais être sans moi
    Et puis, un certain matin, on devait être plus que deux, et tu étais là. foulard au cou, livre sous le bras. Il m’as fallut 0.6 secondes pour savoir que ce serait ça la vie
    Et ensuite, normal, un party, des escaliers, je voulais partir, tu m’as dit non. Il ‘y avait plus rien, que la rampe et une vie sans casque. Tout y étais.
    C’est probablement pour ça que je suis pas partie. Ou encore, tu pressais trop fort contre mon coeur. Sur tes jambes bariolées j’ai écris tes dénis.

    Un jour j’ai rencontré l’homme qui m’as tuée.
    Il avait des yeux bleu mer.
    Bleu morts
    Tout était prévisible entre toi et moi
    Je t’avais bien dit,
    Mais à 4h du matin sur saint-laurent, j’ai écouté tes cris
    Je t’aime, tu m’aimes
    On fonces
    Et aujourd’hui, sans rien, le vide entre les mains, les mots dans tes yeux, je n’ai plus rien à dire.

    Tu auras tout avalé
    Tout pris
    Tout ravagé sur ton passage bête

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