Quelque doigté

Mes doigts de pousse-crayon se sont activés. Ils ont entrepris de tout rénover. Panser les planchers. Scalper les plafonds. Débrider les murs. Pratiquer de petites incisions ici et là, greffer des appareils. En nettoyer d’autres, purulents. Quelque chose comme une efficace taxidermie, pour me tanner le cuir chevelu.

Mes doigts de pousse-crayon ont repoussé leurs désirs lubriques de gloire temporaire, agi sous le joug du regard placide des couleurs à l’ancienne. Ils se sont oubliés sur des papiers de sable plus doux que toi, ont tranché des planches de chêne et de salut. Sur le sol souillé des vieilles mégères folles mortes ici, ils ont percé des ouvertures vers la terre et demain.

Mes doigts de pousse-crayon se sont englués dans la glaire et les vernis nauséabonds, ils ont lubrifié les charnières des portes qu’on ouvre sur la vie, pendu des virgules aux lèvres des armoires où je range nos passés, des apostrophes aux langues qui se disent tendrement.

Ils ont couru sur les comptoirs où les pièces chignent en retentissements métalliques, se dévêtent et s’amourachent délicatement, de bleus plus profonds où tu n’erreras jamais. Ils ont parcouru les édits gaéliques où l’on apprend la jointure, le lustre et le satin.

Ils ont longé les murs, où le froid pénétrait la chair en langoureuses effusions. Mes doigts de pousse-crayon ont décharné les cloisons, poncé les interstices où coule la sève des jours heureux. Ils ont lissé la vie qui s’effrite comme du vieux plâtre, celui auquel on annexe la volonté, électrifié les veines où pulse la douleur.

Ils ont récuré la perle suspendue d’où jaillit la lumière, étendu le stupre blanc où tes ombres n’ont plus prise, le gris dont tes cendres nourriront l’éclat. De la jute sale où s’étend l’histoire, ils ont déveiné le tricot où rigolent tes larmes, essuyé tes bavures.

Mes doigts entaillés ont caressé des rêves de bois confit où les tapisseries ne collent plus, où les peintures s’écaillent. Ils se sont coincés dans toutes les fissures, ont cassé les phalanges au pin noueux, perdu leur éclat dans l’acide où macère l’amertume. Ils ont glissé leur douleur dans la terre, vautrés dans la fange sanglante de la détestable habitude.

Sous les fragments de ton corps qui meublent l’aire, ils ont forgé le désespoir, repeint la douleur et poli les boutons de portes qui n’ouvrent sur rien. Mes doigts corrompus désolés asséchés chôment sur des cuisses dont craque l’émail craqué, rompus à une luxure désuète.

 

 

 

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