Dans une perspective de gestion strictement économique à courte vue, trop de voix s’élèvent pour encourager le démantèlement de Télé-Québec, comme celle de monsieur Yves Boulet, lundi dans La Presse +.
Ce type de vision désincarnée relève selon toute vraisemblance d’une méconnaissance de l’écosystème médiatique qui est le nôtre, et s’appuie sur la prémisse fallacieuse que nos institutions ne nous rapportent rien.
Or, pour un investissement public de 55 millions de dollars, les effets de Télé-Québec sur la qualité de la télévision d’ici et sur la vitalité économique de l’écosystème médiatique sont au contraire absolument remarquables.
Si l’on prétend que les cotes d’écoute de Télé-Québec – autour de 3% – ne justifient pas un tel investissement, on semble omettre facilement que les chaines concurrentes dédiées à la culture obtiennent en général la moitié moins de parts de marché, et qu’aucun autre télédiffuseur ne se dédie entièrement aux affaires culturelles et sociales.
En conséquence, l’idée que les « bonnes émissions de Télé-Québec » trouveraient leur chemin ailleurs est parfaitement illusoire. Qui se porterait acquéreur de magazines comme les Francs Tireurs, BazzoTV, Deux hommes en or, ou de séries comme Écoles à l’examen et Les Grands moyens? Ce créneau serait, sans Télé-Québec, à déclarer en pertes nettes.
Qui plus est, peu d’autres télédiffuseurs, voire aucun, ne soutiendraient les risques qu’accepte encore de prendre Télé-Québec, avec un rythme et une profondeur d’analyse qui sont certes à contrecourant, mais qui exercent sur l’ensemble de la télé québécoise une pression positive. Normal, c’est là le rôle et l’une des raisons d’être d’une télé publique!
Par ailleurs, le maintien de deux télédiffuseurs publics en parallèle, l’un fédéral et l’autre provincial, n’a rien d’incohérent. D’abord, leurs budgets n’ont aucune commune mesure, et leurs mandats, l’un axé sur l’information, l’autre sur l’instruction et le contenu à orientation éducative pour les plus jeunes, ne sont absolument pas redondants.
Enfin, il ne suffit pas d’en appeler à l’importance du web et des médias sociaux pour justifier le démantèlement de tout ce qui existait avant eux. Les différents médias se doivent d’être complémentaires entre eux pour favoriser une plus grande circulation des idées, quelles qu’elles soient, et non de venir à bout l’un de l’autre!
Que les jeunes consacrent toujours moins de temps à la télévision est un autre argument en faveur du maintien de Télé-Québec : si la télé peine de plus en plus à s’adresser aux gens de moins de 35 ans, seul un diffuseur public a pour mandat et peut se permettre les risques inhérents aux tentatives de rallier ces jeunes générations.
En s’adressant à elles, Télé-Québec peut contribuer à inscrire la télévision dans les habitudes de vie de ces générations. Elle constituerait en ce sens un des moyens d’encourager tout le secteur télévisuel à un nécessaire renouvellement de ses pratiques, tout en favorisant le maintien sa structure culturelle et commerciale.
Le contexte économique et les mutations sociales ne commandent pas de tout démanteler, mais de réfléchir avec davantage de rigueur. Ce qu’encourage Télé-Québec depuis 1968.
Jean-Philippe Tittley,
Chargé de projets, web et médias sociaux
Les Productions Bazzo Bazzo inc.