«Je n’ai jamais Connu
[…]
«Non! Non! Je n’en veux rien Connaître
[…]
«et je l’ai regardé s’enfuir dégoûtée.»
T’es con ou quoi?
-G
Blogue de Jean-Philippe Maxime Tittley
«Je n’ai jamais Connu
[…]
«Non! Non! Je n’en veux rien Connaître
[…]
«et je l’ai regardé s’enfuir dégoûtée.»
T’es con ou quoi?
-G
Elle était, de son côté de vitrine, appelée à me reconnaître. J’étais, de mon côté de vitrine, malade, saoul, de la vie qui vous recrache toujours au visage des pousses d’herbe prémastiquées. La vie devant l’amante se fait lama.
Et comment charmer encore quand les reflux gastriques giclent à vous en humecter le dos?
Elle était là et j’étais aveuglé par ma propre mort, incertaine mais prochaine. J’échafauderais des tours comme on construit de mensonges une cité d’envergure toujours trop modeste… Montréal pue à l’aube et au printemps; c’est que la Vérité est aussi laide que le Quotidien
Merde! Elle était là, et moi je me vautrais dans ma propre déchéance, avec l’espoir d’élévation.
C’était en septembre de pluie, aux abords de cette cité qui me ressemble tant, à un sandwich près d’entrer dans ce faubourg surpeuplé de professeurs qui se confessent à eux-mêmes leur fatalité et de confesseurs qui professent à tout vent leur futilité. J’irais m’abandonner au beau milieu d’un immense Jardin où les sages monologuent et les fous arborent un sourire édenté. Je devrais croire et mourir.
J’eus pu choisir autrement. Mais j’étais lâche. Paresseux comme on l’est quand l’ivresse nous gagne et que l’on ne comprend plus le sens de l’effort que lorsqu’il est question d’aller au lit. Satan, l’ivresse et l’amour. Et sur ma langue déferlaient des torrents d’une salive âpre. J’aimais bien vivre, avant de mourir.
En Quotidien, en Quotidien, je vous le dis, je n’ai jamais Connu, je n’ai jamais érigé de tour, jamais gravi d’échelle de corde. Je n’ai jamais senti mes pieds s’enfoncer dans un sol de goudron, je ne me suis jamais senti repus d’avoir bouffé l’herbe sous mes pieds. Jamais non plus je n’avais été malade avant de goûter aux déplaisirs de l’illusion.
J’étais un enfant des marionnettes à l’écran, j’étais un gosse de la piscine gonflable qu’on emplissait trois fois semaine. J’étais le kid à la balançoire bleu et blanc, le salopard qui dévissait les boyaux chez le voisin. J’étais jeune connard, crapule qui hurlait des obscénités aux bonnes femmes du dépanneur, parce que la hausse du prix du bonbon à 5 sous. J’étais le «reject» de la maternelle au collège, qui fondait en larmes pour un surnom indigne, j’étais marmiton, apprenti sorcier, architecte et cycliste, impudent, imprudent, impudique. J’aimais tout sauf les concombres, les carottes, les tomates d’hiver et les pois en conserve. C’est de la bouette ce truc là.
Puis rien. Un jour j’ai pris l’autobus et dans un Deli où l’on ne me servit rien qui fut délicieux, je lui fis face, à elle, de l’autre côté de la vitrine. Elle est du genre qui vous fixe au sol en puant d’émotion. Elle est une putain de tasse de lait chaud dans laquelle on se noie. Et ça sent le miel et autres victuailles qui beurrent et coulissent. Par la porte de secours, on voudrait fuir son propre baptême. Non! Non! je n’en veux rien Connaître!
– Colmatez cette fuite, entretins-je à l’homme d’entretien, je me suis éclaboussé le front d’H2O et de phosphate chloridrique, si ça se peut. Lui, de ne rien plus comprendre que nous, se contenta de passer son chemin jusqu’à la prochaine bouse.
Non je ne me suis jamais baptisé, ce n’était qu’une éclaboussure.
Alors j’ai pris sur moi, et je me suis répandu en bile hargneuse, parce que trop imbécile, et hagard je l’ai regardé s’enfuir dégoûtée. C’est si facile de vomir «je t’aime-quand-même-je-m’excuse-resteras-tu-quelques-instants-encore-que-je-retire-mes-paroles-non-alors-laisse-moi-te-dire-que-…-zut-elle-est-partie-je-vais-me-réfugier-dans-ce-roman-qui-parle-de-Nietzsche-comme-d’un-vieil-ami-du-canton-sud-pendant-que-le-poilu-derrière-le-comptoir-passe-la-serpillère-sur-ce-qui-ne-reste-plus-de-ma-vie…»
* * *
Ce qui vous trouble en cet instant, c’est que le cinéma américain nous a habitué aux personnages qui se réveillent quand tout devient insupportable, pas à ceux qui s’endorment. Les amerloques ne sommeillent jamais sur la beauté, ils se contentent de la baiser.
Mon chef spirituel n’est pas mort. Il vit. je le sens dans mes trippes. Je le sens dans mon corps. Il est bien présent. Il est.
Cessez de me dire qu’il est mort. Cessez de me répéter qu’il n’est plus. Cessez de pleurer comme des idiots, vous n’avez de toute façon pas mal. Je suis passé devant le Jardin où j’ai vécu si peu. J’ai regardé droit devant, là où le chemin se transforme en circuit de F1. J’ai couru, respirant à pleins poumons l’âpre fraîcheur du matin. Non, il n’est pas mort. Je l’ai senti dans mes poumons. J’ai respiré son haleine fétide. Je sais.
Le savoir est la mesc du peuple.
Alors je n’ai plus de doute, le mort existe encore.
– F.
Les deux mains collées sur un barreau de fer peint en noir. Les deux bras en extension perpendiculaire à cette clôture qui ceignait le Jardin, j’étais une protubérance de la ceinture. Moine en jeans et chemise blanche, je disais malandrin défroqué, un ventre flasque, une conséquence de mes gavages intellectuels.
Des échassiers, des bouffons et des lions parcouraient les chemins asphaltés qui liaient encore à cette époque le Jardin au reste du monde. Ô découverte! ô Vérité révélée! Dans une absolue fermeture d’esprit, j’en avais oublié que par là même où j’étais entré existait une voie de sortie, une voie de retour, sans détour : un chemin direct entre ici et là. L’aller-retour est possible, entre la Connaissance et le Quotidien. Suis-je bête!
Échapper aux murailles du Savoir exquis et doucereux n’est pas une quête incertaine. C’est une aspiration normale, commune et réalisable, à condition d’efforts minimes et de force morale.
Les deux mains collés sur un barreau de fer peint en noir. Un mur translucide et pourtant imposant, insurmontable et pourtant on y passe aisément un ou deux bras. Malgré l’impressionnante construction, il suffit, pour sortir du Jardin, de passer par la grande porte.
J’en informai mes compères, d’un cri abrutissant. Un écho de crystal vibrant me répondit: le Jardin était déjà vide.
Premier Mouvement: immobilisme
J’en appelai à l’intelligence de l’Humain. À son entendement. Il eut fallu pour vivre remodeler tout et puis non. Il eut fallu pour vivre que l’on n’existât pas, d’abord, et que l’on naquît, incidemment, tous le même jour.
C’était donc que nous ne vivions pas véritablement. Que l’empêchement était plus fort que la volonté. Une colonie de moines, dont les vœux écrasaient le souffle de vie, erraient dans les coulisses jaunâtres du savoir. Chaque élément que l’on connaît perd soudainement de son intérêt, car ce n’est plus l’objet d’étude qui nous émerveille, mais le fait que nous connaissions cet objet, notre compréhension de son fonctionnement.
Prenez une forêt vierge que l’on explore : les premiers pas qu’on y fait sont animés d’une passion, d’une volonté impressionnante de tout connaître. On veut comprendre l’écosystème, dénombrer les espèces qui y habitent. Et chaque découverte est belle et émouvante. Mais lorsqu’on la connaît, lorsqu’on l’a analysée de fond en comble, que chaque parcelle de terre a été remuée et chaque race d’oiseau étiquetée, alors on se félicite de tout ce beau travail, on lève le camp et on coupe la forêt pour en faire du mobilier de chambre à coucher. On s’en fout, une fois qu’on connaît, de connaître. C’est acquis, passé.
Le savoir n’est donc pas une issue à la question de l’existence, car il détruit la beauté intrinsèque de l’être encore inconnu. Pire : on peut savoir qu’on sait. Alors on ne s’intéresse plus même au fait de connaître. Blasé, ennuyé, on se terre et on se tait.
Voilà où nous en étions. Entrés au Jardin depuis trop longtemps, et côtoyant chaque jour le savoir et ceux qui savaient, ces constructions mentales et physiques n’avaient plus de sens que dans l’absolu dimensionnel. Vingt mètres de haut, sur sept de large et dix huit de profond : la chapelle de la géographie. Trente-trois par quinze par quarante : le temple de la sociologie. Rien ne restait plus de l’importance perçue de ces matières, qui nous avait autrefois poussés à creuser des fondations, et à cimenter les premières pierres…
Deuxième mouvement : mobilisation
Lorsque je descendis les marches, ce matin enneigé, je ne découvris rien d’autre que la routine qui avait suivi son cours sans la cloche. La routine. Tous avaient continué normalement leurs activités, et rien ne leur avait fait remarquer l’anomalie. C’était signe que tout allait rondement, et inutilement, vers une fin médiocre parce qu’elle devait s’imposer à des moines, adeptes du savoir et pourtant inconscients de leur propre réalité. Inconscients qu’ils se blasaient, avaient cessé de s’émerveiller, ne vivaient plus. Pensaient.
Je sus qu’il ne servait plus à rien d’aspirer à quitter le jardin, qu’il suffisait de mettre un pied devant l’autre et d’aller vivre ailleurs. Car vivre, vivre vraiment, ici, était impossible. On en savait bien trop.
J’en appelai à l’intelligence de l’Humain, à son entendement. « Sachez, mes frères, que vous vous leurrez, si vous pensez que le savoir vous apportera bonheur. Elle est bien douce, la voix de la connaissance, suave et surtout réconfortante. Elle ne vous inquiète pas, et vous borde gentiment tous les soirs. Elle vous raconte éternellement l’histoire du monde.
« Or, souvenez-vous des jours anciens. Souvenez-vous de votre première poignée d’herbe, que vous avez arrachée au sol de ce Jardin pour l’ingurgiter goulûment. Souvenez-vous de son goût. Souvenez-vous combien il vous avait surpris de constater qu’elle était bonne, cette herbe.
« La goûtez-vous toujours lorsque vous l’avalez? Reconnaissez-vous les variantes? Sentez-vous sa texture plus ronde lorsqu’il a plu? Et son goût plus acide, près des grandes portes, le percevez-vous?
« Maintenant pensez à ce que vous savez. Pensez combien vous étiez émerveillés lors des premières messes auxquelles vous avez assisté, qui célébraient le savoir. Mais les jours et les prêtres austères vous ont ternis, chers collègues. La raison en est fort simple. Vous êtes habitués.»
J’en appelai à l’intelligence de l’humain et je leur fis part de mon raisonnement. Quelques uns comprirent. Il fallait quitter avant que le savoir ne nous assomme, et nous tue. Nous étions avant tout, sous la soutane, sous ce noir si lourd, nous étions des femmes et des hommes. Nous étions la vie, mais nous ne l’incarnions plus, nous nous contentions de la connaître.
À cela on acquiesçât généralement, pourtant des objections percèrent.
– C’est pareil dehors, seulement là-bas, on ne sait pas. Je demandai en quoi il pouvait en être de la sorte à l’extérieur. Comment on pouvait se blaser si on ne faisait que vivre.
– Les pieds collés au sol, la lumière crue du jour dans les yeux, et l’incompréhension. Ces gens-là, dehors, ne voient rien, devraient faire d’immenses efforts pour bouger et n’en voient pas l’intérêt parce qu’ils ne savent pas, me répondit le moine réfractaire. Il faudrait tout remodeler.
– Dis-moi, il faudrait donc pour vivre que l’on n’existe pas, lui demandai-je. La salle se remplit de murmures d’incompréhension. J’élaborai. Puisque le premier obstacle est le corps, il faudrait, pour agir, pour bouger, pour avancer, que l’âme puisse voyager et évoluer sans le corps.
– Il y a aussi la paresse.
– Qui émane du corps, rétorquai-je. Je ne pouvais pas véritablement contredire ces arguments. La vie, tant au Jardin qu’à l’extérieur, ne pouvait être invitante que si on y accolait une raison d’être valable. Or, chaque fois que quelqu’un croyait y trouver un sens, d’autres, plus anciens, expliquaient comment ils y avaient déjà songé, et comment ils avaient compris un peu plus tard que telle justification de l’existence était illusoire, que telle aspiration était vaine. Vraiment, il eût fallu pour vivre que l’on naquît tous le même jour.
Troisième mouvement …
Une cloche. Au loin. Ça n’en était pas une du Jardin, le son provenait de la ville. Déjà la douce illusion de mon arrivée au Jardin me manquait. Déjà le Jardin me manquait. Comme elle est douce, la berceuse du Savoir ; je le reconnais, maintenant. Ce qu’elles sont belles, les Cathédrales en plein soleil. L’effort me donnait déjà peine à souffler. Ce qu’elle est lourde, la conscience, lorsqu’elle vous tombe dessus. Bien plus lourde que la Connaissance.
Les gens sont en général beaucoup plus motivés à vous expliquer comment eux ont échoué qu’à vous aider à réussir…
Le clergé a bien pu s’embourber dans plein de mensonges, c’est trop facile de construire pierres sur Pierre plein d’églises. Le savoir est une pierre. Froid, gris, lourd et pas toujours beau. Voilà. À quoi bon ériger des cathédrales, on sait bien qu’un jour ou l’autre, le soleil ne les éclaire plus de la même façon et leur beauté meurt en même temps que notre foi.
Je n’ai plus foi. Je ne crois plus. Cette histoire est l’essence même de la religion. Un beau mensonge auquel on a cru et qui mourra dans une dégénérescence honteuse. Mieux vaut lui administrer l’extrême-onction anticipée. Meurs, christ. Je t’offre la vie éternelle dans l’au-delà, pas ici.
Je t’enterrerai dans ton trou au fond du Jardin que t’as tout défiguré, Savoir de Christ. Que repousse l’herbe et qu’il ne reste plus des cathédrales que quelques ruines que l’on fera visiter aux touristes français qui n’en auront jamais vues d’aussi grises.
Je descends sur le bitume, malandrin défroqué. Ça colle. Ça sent le goudron. C’est sale. C’est la rue Victoria.
Je vais mieux.
-G
J’avais pris l’habitude en ces jours de me réveiller un peu avant le soleil. Je me rendais aux matines, suspendu par un lacet qui s’était trouvé dans ma main aux hasards d’une randonnée. Alors qu’il n’était, le jour où je l’avais adopté, qu’un petit lacet de soulier, il avait grandi pour devenir une longue corde solide, qui permettait de sonner une cloche.
Les débuts de journée s’étaient crystalisés en une routine simple. J’ouvrais les yeux et je glissais le long de la corde, en freinant brusquement à distance égale, sonnant ainsi la cloche qui se trouvait à l’une des extrémités. Mes collègues, amis, répondant au vacarme religieux et fidèles comme le chien de Pavlov, venaient avec moi s’abreuver au premier office.
Vint une longue nuit d’insomnie, puis un matin, où je ne savais plus… Tout s’entremêlait, et l’heure du lever ne vint jamais, ou trop vite, même encore, je ne sais plus.
Le soleil brillait, mais il faisait très froid. Quelques flocons dans les ouvertures du clocher. Je me suis passé la tête dans l’une d’elle. Une bourrasque de vent m’a glacé les tempes. Le regard fiévreux sur le jardin… Je ne vis pourtant plus rien que des flocons, entassés, sur un chantier, une mine à ciel ouvert. Le centre du jardin était une cicatrice. Une plaie, béante, au milieu de cathédrales qui s’élevaient. On ne distinguait plus le niveau du sol. Il n’existait plus. On ne distinguait, par ailleurs, personne, dans le jardin.
Le lacet, la très longue corde qui devait sonner la cloche n’était plus en poste. Plus précisément,il ne restait plus que le noeud, fixé bien solidement à la cloche. La corde s’était rompue quelques centimètres plus loin. je descendis par l’escalier de pierre.
J’ai pris à droite, au sortir de la première cathédrale. Il se faisait tard. C’était une erreur, une minable erreur de parcours, un oubli, une confusion trop passagère. J’étais seul, j’étais hors de la vue de tous, j’étais hors de mon propre regard. J’ai péché, mon père. J’ai oublié.
– G.